L'Ecole Netflix
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le 19 janv. 2019
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Décidément, la vie nous surprend à chaque instant et révèle parfois en nous des abîmes de perplexité face à des découvertes inattendues. Il faut dire que par avance, aux vues de la publicité qui en était faite, des clichés qui semblaient poindre le bout de leurs nez à chaque recoin de la bande-annonce, et du concept de la série teenager en général qui depuis Skins a l'art de m'horripiler et de me faire me sentir suicidaire, je ne partais pas avec un a-priori positif sur cette série qui paraissait racoler dès les premiers instants des adolescents netflixés en manque de masturbation et les esprits les plus voyeurs à peu de frais. "Quoi! me disais-je, une série qui surfe sur la bien-pensance de la transgression habituelle à base de quota qui mélangerait un peu de Fifty Shades of grey par ci et un peu de American Pie par là, en faisant de la diversité ethnique et sexuelle une marque de politiquement correct, avec des personnages de carton pâte tous aussi peu crédibles les uns que les autres dans un unique but commercial, à la sauce civilisation anglaise, quelle déplaisante surprise!". Me lançant très peu courageusement dans le visionnage du premier épisode, je fus d'abord rebuté et toutes mes prévisions semblèrent tout à coup se réaliser devant mes yeux révulsés et désespérés de Cassandre du XXIème siècle. Mais pourtant, très vite, sans savoir à quoi cela était dû, sans savoir si cela provenait de la beauté des paysages anglais ou de la joliesse de ce lycée en papier crépon, le charme enchanteur de la série opéra tout à coup sur moi, ô divines émotions, et chaque personnage me rechargeait d'un trop-plein d'amour et de sentimentalisme que j'avais tant oublié par des années de maturation aigrie. Je me sentais tout à coup devenir une fillette impatiente devant cette tension amoureuse entre Otis et Maeve, je riais face aux mésaventures du fils du Proviseur, je me découvrais ému face à des personnages attachants et colorés et m'agrippais à un scénario, bien que peu crédible, qui me berçait comme une comptine sympathique et bien éloignée de la vulgarité à laquelle je m'attendais, un peu bêtement, un peu en pilotage automatique. Je fus porté, diverti et très agréablement surpris par cette petite série anglaise qui ne paye certes pas de mine mais qui recèle énormément de qualités de production, de jeu et de bande-son. "Déçu en bien", comme disent les Suisses, je dois donc ici me confesser pour mes préjugés bien propres aux hommes de ma génération, rongés par la propagande viriliste et bien-pensante dans son rejet de la bien-pensance.
Oui, la série est une ode à la diversité sexuelle, et pourquoi cela serait-il mal finalement? Pourquoi se scandaliser d'une prétendue propagande ? Je me questionne alors : peut-être ai-je intégré malgré moi de cette homophobie systémique qui vise à rejeter en bloc des tentatives d'inclusion d'un oeil péremptoire sans tenter de comprendre la subtilité de ce qui était dit ? Parce que Sex Education est sur ce point réellement subtil : la relation d'Eric avec son père et la religion est par exemple très réussie, et les réactions face à son identité sont bien celles que l'on imagine, et la série nous pousse à nous remettre en question sur ces points, sans faire de surlignage et sans nous prodiguer de pathos à l'infini. Que Netflix ne soit pas Sputnik et qu'elle ne garde pas de distance neutre face aux sujets sociétaux est une évidence, mais voir dans un traitement assez réaliste d'un sujet complexe une forme de tentative de message politique d'endoctrinement est une stupidité qui provient d'idéologies tout aussi tendancieuses. Oui, être homosexuel dans un milieu populaire induit de devoir être fort, de subir la maladresse bienveillante de ses proches, de se retrouver coincé face à des murs de haine et de parfois coucher la nuit avec ses propre bourreaux de la journée. Qui peut continuer à y voir une campagne de débauche alors même que la série va jusqu'à énoncer que la sexualité n'est pas quelque chose à quoi se conformer ? Oh, je vois bien ces mines amusées face aux personnages noirs et indiens, adoptés et souvent issus de couples mixtes, oh je vois bien les mines déconfites devant même une couple lesbien composé d'une femme blanche et d'une femme noire, et je me demande alors : à quel point de décrépitude notre société est-elle arrivée pour ne voir que ça, sans s'intéresser aux autres sujets que la série tente d'aborder ? Sex Education tente de donner des conseils non totalement dénués d'intérêt, sans malveillance, avec douceur, sans prétentions et essaie tout simplement d'apporter à des jeunes un peu de bonne humeur et d'humour sur des sujets tout aussi variés que plus ou moins graves : le rapport d'un adolescent avec ses parents, la précarité, la sexualité sans passion ni sentiment, le harcèlement scolaire, le refoulement de l'homosexualité chez les homophobes, les amours non réciproques, la drogue, etc ... Il ne s'agit pas ici de réinventer l'eau chaude et qui pourrait le croire ? Néanmoins, la série est un vrai plaisir coupable, beaucoup plus nuancé et sensible qu'on ne le croit et qui compose une symphonie de sentiments positifs,qui laisse couler une idéologie de tolérance et d'égalité dans des gants de soie, sans aucune ambiguïté, et qui n'endoctrinera que ceux dont les viscères ne peuvent tolérer ni la liberté des mœurs, ni la sodomie des hommes, sans percevoir les vrais problèmes sociaux de ce monde. Triste, triste, triste est mon époque.
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Créée
le 17 janv. 2019
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