Sentiment étrange à la fin du dernier épisode de la dernière saison... Bien que la série se traine depuis 5 bonnes années, on a cette impression de dire au revoir à notre deuxième famille. J'ai passé mon temps à râler contre certaines longueurs et contre les allures que prenaient cette série, on y laisse une partie de nous, des très bons souvenirs tracés par cette splendide saison 4 qui est l'archétype même de l'esprit Shameless avec une conclusion âpre et cette scène magique où Frank Gallagher se remet à boire après avoir reçu un nouveau foie à la place d'une fillette de 6 ans... Point d'orgue incisif où la série culmine sur le morceau The Cold de Exitmusic.

Shameless c’est une comédie satirique de la société américaine moderne qui laisse crever ses pauvres parce qu’ils ne peuvent pas payer leurs soins, sur fond de lutte des classes avec cette envie systématique de dézinguer les bobos des quartiers riches dans le propos. Shameless c’est une révolte permanente contre les progrès numériques au service du non essentiel et un gros coup de pompe dans les couilles de l’ubérisation de la société qui précarise encore plus les petites gens des quartiers sud de Chicago. Shameless c’est un peu l’Amérique qu’on ne veut pas voir, c’est l’antagonisme de Desperate Housewives ou de La Fête à la Maison. Shameless c’est l’anti-famille américaine à l’image de l’antihéros qu’est Frank Gallagher, le plus abominable des pères de famille qui délaisse ses 6 enfants pour aller fumer de la méthamphétamine, qui vit de ses fraudes à l’assurance maladie ou de la naïveté de ses conquêtes amoureuses. La pire ordure possible pour laquelle on arrive à éprouver de l’empathie et à laquelle on s’attache, finalement, à l’instar de ses marmots Fiona, Lip, Ian, Debbie, Carl et Liam tous aussi sarcastiques que passionnants.

C’est la force principale de Shameless, de nous montrer des humains bourrés de défauts qui luttent en permanence pour essayer de s’extirper de leur milieu social populaire. Chaque saison représentant une année civile, tous les protagonistes ne cesseront de tenter de s’élever dans cette société américaine dominée par le reflet superflu de l’idéologie du self-made man, pour finalement se faire rattraper par leur passé de délinquant des quartiers sud et rechuter dans la même misère sociale. La réussite de la série c’est également ce ton humoristique totalement novateur, Shameless c’est un peu la série qui ose tout et qui se défait totalement de la morale traditionnelle américaine et son puritanisme puant. Cet humour est toujours présent dans les dernières saisons alors qu’au contraire l’attachement que l’on pouvait avoir pour les personnages principaux disparait. Le départ d’Emmy Rossum de l’aventure à la fin de la saison 9 marque un certain coup d’arrêt dans l’engouement que l’on éprouve à suivre Shameless, tout comme le départ de certains personnages secondaires comme Sheila Jackson interprétée par Joan Cusack et surtout Steve joué par Justin Chatwin.

La série possède 6 très bonnes saisons et 5 en trop. Il y a une énergie et un mordant qui se perdent à la fin, notre étonnement est moins fort. Le ton provocateur prend de plus en plus la forme de militantisme. Faites le test de regarder un épisode au hasard de la 10ème ou 11ème saison puis de regarder ensuite l’épisode pilote de la toute première… La différence est significative. Quoi qu’il en soit, j’ai vu grandir ces acteurs au travers de leurs tribulations, comme si j’avais partagé avec eux un peu de leurs actes inavouables. En filigrane, la série tente de nous prouver qu’on est tôt ou tard rattrapés par son appartenance sociale malgré les efforts interminables éprouvés par les personnages et les opportunités offertes par la société. Pour abréger certaines théories de sociologues, les Gallagher sont toujours englués dans leur classe sociale, sans possibilités d’y échapper, ou très peu.

Shameless est devenue un show TV culte, une de ces épopées fictives sur la famille américaine populaire comme Malcolm in the middle ou This is us l’étaient pour la famille type de la classe moyenne.

baptistevanbalbergh
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le 27 mars 2023

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