It's a lonely fight
Yonkers, petite ville de l'état de New York. Fin des années 80. La salle du conseil municipal semble être le lieu d'une véritable guerre de tranchée. D'un côté, une population en état de...
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le 17 nov. 2015
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On est d’abord piégé – durant toute la partie centrale du film, au point de croire que l’ensemble sera presque raté.
Piégé d’abord par ses propres attentes, David Simon, une ville américaine, un récit choral éclaté entre ses différents personnages, The Wire évidemment ; mais The Wire était une fiction, avec gangs, enquêtes, tueurs … Dans Show me a hero, on aura à peine un meurtre, très loin du champ, un vol à la tire, quelques images de trafics de drogue, presque subliminales. A présent ce ne sont pas seulement la ville et ses quartiers qui renvoient à la réalité mais tous les personnages, tous appréhendés par leurs vrais noms, leurs vraies fonctions …
Précisément, c’est d’abord cet aspect choral qui ne fonctionne pas, qui semble ne pas fonctionner. On retrouve certes la méthode de David Simon, d’abord fondée sur un éclatement du récit, avec des histoires et des séquences juxtaposées, non liées mais qui finissent peu à peu par s’entrecroiser et se raccorder. Ici, en dehors de la référence au lieu, les histoires semblent totalement indépendantes, les protagonistes ne s’y croisent pas (à l’exception peut-être du personnage passerelle interprété par Catherine Keener, naviguant entre les différentes parties, avant de changer elle-même de parti). Et ces différentes histoires semblent d’un intérêt très inégal, en quantité et en qualité, le récit proprement politique, d’élections gagnées en élections perdues vampirisant toutes les autres histoires, qui semblent ne servir que de ponctuations brèves, des petites séquences naturalistes (et d’un intérêt inégal), avant un nouveau retour au récit principal.
On peut même croire que ces petites histoires ne sont en réalité que des prétextes, afin de réduire l’ennui qui pourrait résulter (inévitablement ?) d’un film centré sur les seuls événements politiques, effectivement très répétitifs.
Et ces affrontements politiques, malgré ce caractère constamment répétitif, sont présentés avec une extrême confusion, aux limites parfois de l’incompréhensible.
Et l’interprétation même, à commencer par celle d’Oscar Isaac, présent-absent, presque à côté de son rôle (celui du « hero » annoncé par le titre) peut laisser très perplexe.
On peut même craindre que l’extrême concentration de la série, six épisodes seulement, ne finisse par ôter toute chair à l’ensemble pour aboutir à une réflexion très abstraite et remuant des idées souvent toutes faites.
… Quand soudain, à l’avant dernier épisode, tous les personnages finissent enfin par se rencontrer (ou pas …), et que ces croisements si différés et auxquels on ne croyait plus conduisent à une fin sidérante – à laquelle on a d’abord du mal à croire, qu’on se repasse en boucle dans le cerveau et qui révèle, après coup, une nouvelle vision, à présent remarquable de l’ensemble.
On a été piégé. Et c’est le film tout entier qui défile à nouveau sous nos yeux …
Si les politiques et les citoyens ordinaires ont tant de mal à se croiser, c’est parce que l’univers de ces derniers se situe à l’évidence en marge de la vie – c’est un micro monde, uniquement préoccupé de ses luttes internes, de ses alliances tellement incertaines, de ses illusions de gloire, de ses coups bas … Les scènes les plus fortes du film sont sans doute celle où Wosicsko / Isaac, le maire déchu, tente de retrouver ses concitoyens, d’aller directement vers eux au moment où le monde politique semble le rejeter - la séquence de l’attribution par tirage au sort du parc de logements créés à son initiative, quand il s’assoit en bout de rangées, que personne ne le reconnaît, ne le voit ; et plus encore ses (essais de) visite auprès de ces nouveaux résidents, quand toutes les portes se referment presque instantanément (« c’est le service du logement dont on a besoin », « vous n’êtes pas le maire, le maire s’appelle … Zouski »), et surtout quand la seule locataire qui le reconnaisse et qui l’accueille chaleureusement, finit par lui offrir la plus terrifiante des réponses, aussi tranchante qu’une dague :
- Est-ce que ce changement vous a profité ?...
- Et à vous ?
Pour qui sonne le glas …
Si les projets, les discours, les magouilles des politiques sont à peu près incompréhensibles, ce n’est pas lié à la confusion du scénario, pas davantage au souci de perdre le spectateur, mais à l’incohérence qui est la marque de cet univers, où l’on promet toujours ce que l’on ne peut pas tenir, où toutes les décisions ne visent qu’à la construction de nouvelles alliances et à l’élimination des rivaux potentiels, où la droite et la gauche, les démocrates et les républicains se mêlent dans la plus inextricable des confusions, sans qu’on sache qui est vraiment avec qui, où l'on finit, sans savoir vraiment pourquoi, par trahir ses amis les plus sûrs ; c’est aussi ce que dit, avec force et non sans originalité, Show me a hero.
Si toutes les histoires parallèles ne pèsent pas très lourd, apparemment, c’est aussi parce qu’elles intéressent assez peu les politiciens. Mais en réalité ces micro récits finissent par prendre une importance de plus en plus grande à mesure qu’elles s’invitent dans le récit principal, le rattrapent, jusqu’à enfermer le personnage principal, l’enserrer, réduire de plus en plus l’espace où il s’agite en vain (et que traduit aussi bien la réalisation de Paul Haggis). Dans le même temps, peu à peu et alors qu’on attend constamment l’effet inverse, son parcours se traduit non par une progression, mais par une stagnation, un surplace, puis par une alternance de victoires de plus en plus étriquées et de défaites de plus en plus irrémédiables – jusqu’aux décisions les plus incohérentes, les plus contradictoires, pris comme un poisson dans la nasse.
En réalité Show me a hero ne développe pas, ou si peu, un thème social (l’attribution de logements sociaux dans des quartiers plus favorisés, avec le choc des communautés, le racisme ordinaire et toutes les violences liées) ; il dit un destin, celui d’un individu rendu fou dans un univers en marge de la vie. Somme toute en réalité le parcours du « héros » n’est pas fondamentalement différent de celui de ses(faux) frères en politique. Il assume la décision sociale (la création des nouveaux logements), non par idéal mais seulement parce qu’il ne peut pas faire autrement, de la même façon que ceux qui lui succèderont et qui comme lui y laisseront à terme leur place. La différence essentielle entre Wosicsko, un temps le plus jeune maire des Etats-Unis, et ses collègues réside dans son hypersensibilité à l’échec. Et c’est lors que Show me a hero trouve toute sa chair, toute sa dimension humaine à travers un destin individuel.
Et c’est à ce moment que l’on comprend les options d’interprétation retenues par Oscar Isaac, sur lesquelles on restait d’abord très perplexe, sont en fait les plus fortes possibles. L’hébétude, la présence-absence, le regard égaré dans le vague, le sourire incertain, l’incapacité à voir même que ses proches sont toujours là, tout cela, de plus en plus marqué à mesure que le film progresse mais sans que le spectateur saisisse vraiment cette évolution en temps réel, tout cela traduit sans doute bien plus fortement la progression inéluctable de la solitude intérieure et de la folie que les cris ou l’agitation désordonnée.
Et cet énorme travail d’interprétation peut aussi aider à lever toutes les doutes que l’on pouvait avoir sur les compositions, vraiment très fausses, atrocement fausses, proposées par plusieurs comédiens. En fait ils jouent tellement faux que cela finit par ne plus relever du jeu et, à peine paradoxalement, par les rendre très crédibles. Et par ailleurs les acteurs les plus connus, Catherine Keener, Alfredo Molina, Bob Balaban, James Belushi, Clarke Peters (la réincarnation, en mieux de Morgan Freeman, malgré sa coupe de cheveux …), Winona Ryder ne composent pas mais interprètent leurs rôles avec beaucoup de réalisme.
A cet instant, après coup, on s’aperçoit que l’on est enfin parvenu à entrer dans le film – jusqu’à comprendre le rôle de cette scène-leitmotiv, celle de l'ouverture, qui revenait sans raison claire au milieu du récit, une voiture à l’arrêt, un cimetière en contrebas, une tombe, la vision fugitive d’un revenant. On comprend enfin que l’ultime marche funèbre, avec l’évocation de l’avenir de tous les protagonistes et pour nombre d’entre eux la date de leur disparition est en fait un requiem pour un seul homme. Ne cherche pas pour qui sonne le glas, il sonne pour toi.
Et reviennent alors, dans le plus grand désordre un flot d’images – une grande femme maniérée présentant ses quatre caniches blancs à un enfant noir devant des pelouses et des petites maisons alignées, une immense maison, à vendre ou à louer, surplombant la ville, et la lumière clignotante d’un téléphone de voiture pour un appel ultime et vain …
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le 18 juil. 2016
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