A l'heure des réflexions sur les "bullshits Jobs" de l'anthropologue David Graeber, des railleries souvent assez justes sur la "start-up nation", les sujets de la morne vie de bureau, de l'ennuie au travail, de la perte de sens dans l'entreprise ou de la décadence de l'économie capitaliste toute puissante et dérégulée sont finalement assez rarement évoqués dans la fiction (The Office, Office Space du même Mike Judge, Caméra Café, Enlightened...) ou sinon souvent avec trop d'idéologie (Merci Patron) ou trop d'exagération (le très artificiel The Social Network, The Office et son humour volontairement excessif et absurde), alors pourtant que beaucoup d'entre nous y passe le plus clair de leur temps. Il y a pourtant dans ce sujet de la vie quotidienne un terreau infini d’aberrations, de curiosités et de faux semblants à exploiter pour le scénariste malin.
Mike Judge reprend dans Silicon Valley, pas mal d'éléments qu'il avait déjà exploré dans le relativement méconnu Office Space, comédie peut être un peu méconnue ou trop précurseur et qui péchait peut être par une réalisation un peu tiède. En revanche, ici c'est le carton plein, plus en avance dans les épisodes, plus l’œil est aiguisé, fin, d'une rare pertinence et les situations sont aussi invraisemblables que finalement tout à fait réalistes. Nous avons le chef d'entreprise qui après des débuts de visionnaire dégénère rapidement soit en bon rentier (Jobs et ses multiples versions de produits qui n'apportent aucune vrai innovation, qui a du inspiré le personnage de Jack Barker) ou dégénère en grand n'importe quoi (Gavin Belson, ceux qui se sont intéressés aux dernières lubbies de Elon Musk comprendront, il souhaite soit disant disrupté le creusage de tunnel - oui oui - ou le transport souterrain, le métro quoi, en y mettant des voitures dedans - oui oui -), les petits génies du code qui font des app pour tout et n'importe quoi, avec des modèles économiques très douteux que quasiment personne dans environnement économique pointe du doigt, même le capital risqueur se soucie peu de la rentabilité d'une entreprise ou en quoi le produit répond à un besoin avéré
dans le dernier épisode (s05e03 ou 04), Richard coule une société qui vend des pizza achetée chez domino's moins cher que domino's avec un coût de traitement de 5 $ en commandant pour plusieurs centaines de milliers de dollars , toute personne qui s'est un peu intéressée aux modèles économiques de sociétés comme Uber ou Deliveroo -casser les prix, finir seul sur le marché, augmenter les prix et pratiquer une économie de cartel, tout en étant incapable de générer le moindre profit avant d'atteindre cette situation, les sociétés ne survivent que parce qu'elles font augmentation de capital sur augmentation de capital -phase très bien caricaturée dans les premières saisons au passage - ou de Juicero -le nespresso du jus de fruit, a-t-on vraiment besoin de détailler pourquoi c'était débile- comprendront la référence.
Saison après saison, on suit, les yeux écarquillés les pérégrinations de cette société, sûrement légèrement plus vertueuse que d'autres et soutenus par une équipe de petits génis.
Nous sommes donc très très très loin de la comédie inoffensive et confortable à la Big Bang Theory à laquelle elle est injustement comparé, car Silicon Valley n'empile que très rarement les références servies sur un plateau à la culture pop et geek, il s'agît bien plus d'une critique fort pertinente et acide sur le monde du travail, la Silicon valley, le monde des Start Up. Certains personnages, plus caricaturaux (Erlich, BigHead, Jian Yang) viennent remplir le quota premier degré, le premier rideau comique, celui qui plaira au spectateur distrait ou trop jeune oui qui n'a pas les clefs pour comprendre ce qui est ici critiqué. Mais dans le fond, sans être vraiment idéologue, rassurez vous nul manifeste socialiste ici, Silicon Valley pointe avec une grande finesse la décadence d'un monde en plein essor et qui par beaucoup d'aspect est assez effrayant.