La question des intentions d'un artiste peuvent rester flou, et je pense qu'internet, de par son accessibilité et ses capacités, tend à rendre de plus en plus opaque les motivations derrière une création. Alors que le secteur de l'audiovisuel permet de recentrer vers l'essentiel grâce aux contraintes qu'entrainent la réalisation et la diffusion d’œuvres, internet est vaste, sans limite, et n'assure en rien des valeurs que peuvent prendre certaines créations. Nous sommes aujourd'hui des milliards à avoir au moins poster un contenu sur internet, que ce soit textuel, sonore, pictural ou même vidéo, et tout est voué à se perdre dans les algorithmes de recommandations ou même les avis subjectifs des internautes. Aujourd'hui, alors que la culture du vide prend de plus en plus de place dans nos contenus, que ce soit de manière plus discrète ou plus frontale poussant à des comportements de plus en plus dangereux, il devient nécessaire de prendre le temps de l'analyse et de la réflexion (d'où le fait que je n'ai jamais voulu passer du format écrit au format vidéo, malgré que mes problèmes en rédaction y sont le plus visible) pour sauver notre capacité à nous capter en entretenant notre esprit critique. On peut penser que la longueur est un bon indicateur (car poussant à nous concentrer le plus longtemps un même propos), et à cela j'avais de bonnes références, comme le travail de Feldup, les vidéos du Cinéclub de Monsieur Bobine, ou même la chaine d'MJ Fermez là (avec le recul nécessaire pour savoir remettre en question lorsqu'il peut être hésitant dans son argumentaire). Pourtant, cela peut tout aussi bien pour nous berner plus longtemps et raconter des discours douteux et manipulateur. Un parfait exemple de cela reste de loin les 3h30 de plaidoirie glaçante et dérangeante de Victor.B anciennement INTHEPANDA, à l'occasion des 10 ans de la série Unknown Movie, dont chacune des conclusions des présentations de film sont d'autant de possibles arguments pour contester son image médiatique depuis 2022. Seul le travail, que ce soit dans la forme et dans le fond, peuvent démontrer la passion qu'ont les créateurs à leurs contenus, quelque soit le format. Il y en a bien qui peuvent échouer, l'erreur reste humaine, mais c'est grâce au temps et à la persévérance que ces créateurs, si ces derniers acceptent la remise en question, finissent par trouver leurs publics et prouver leurs sincérités. C'est notamment le cas d'un créateur que j'ai eu la chance de trouver dans mes recommandations Youtube, dont le style m'avait tout de suite interpellé, et qui a très vite su me séduire. Il est rare de trouver un contenu en animation (on peut penser à la chaine américaine Don't Walk Home Alone After Dark(DWHAAD) du collectif créé par Andy Coyle, avec The Worm ou même The Pine Creepers), mais il est encore plus rare de trouver un véritable coup de cœur, français qui plus est. Pourtant, c'est bien ce qu'a réussit Pierre Scaravella (alias Skarblown) avec sa chaine Skarblown Animations.
Plus que l'animation et le niveau de dessin qui donnent le vertige tant le travail et la minutie pousse à l'admiration au vu du délai, c'est la réflexion maligne et l'exécution exemplaire qui impressionne. Mélangeant les inspirations avec brio, de Stephane Laudenbach (Linda veut du poulet) à Marjane Satrapi (Persepolis), l'artiste instaure efficacement des bases communes afin d'épurer l’œuvre au maximum. On retrouve le format des vlog Youtube, à savoir un créateur qui s'exprime face caméra, ainsi ponctué d'illustrations du propos portant sur un sujet de vie. De cette base simple et limpide, Skarblown va vagabonder et laisser libre court à ses réflexions pour nous pousser à nous même prendre du recul sur notre parcours de vie. A l'inverse de bon nombres qui se projettent sur leurs sujets afin de mieux parler d'eux de manière détourné, se positionnant ainsi à l'encontre du format vlog des années 2008 à 2011 qui assumaient égocentrisme (et allant parfois de ce fait vers une forme de malhonnêteté intellectuelle lorsque le sujet s'efface pour mieux mettre en avant le créateur), Skarblown part de lui (assumant sa place au centre de l'attention dans la première parti de ses vidéos) pour peu à peu aller dans des discussions plus générales, décentrant l'attention sur lui pour mieux aborder un sujet qui dépasse sa personne. De cette démarche faussement simple, on peut y voir une forme de sincérité et d'humilité de la part de Skarblown qui s'efface pour mieux mettre en avant son envi de nous faire réfléchir sur des sujets qui le travaille. D'une expérience anodine vécu en toute intimité à l'anecdote personnel sur un jeu vidéo testé durant le confinement, toutes les raisons sont bonnes à prendre pour penser à autre chose, s'évader, et faire un bilan personnel. Il n'est pas tant question d'intrusivité mais d'inclusivité. Jamais Skarblown ne se posera comme connaisseur et jamais il ne vous demandera faire quoi que ce soit, tout n'est que propositions et possibilités que nous seuls pouvons obtenir en ouvrant nos champs du possible. Chacune de ses vidéos paraissent comme des échanges introspectifs, où Skarblown parle à nous mais semble aussi chercher à parler à lui-même à travers nous. Personne, pas même lui, n'a de réponses aux questions qu'il soulève car c'est le propre de la philosophie. L'idée est alors de trouver un apaisement et une solution plus qu'une réponse clairement définit et, tout comme il cherche l'apaisement tout le long de la vidéo, nous compatissons et cherchons l'apaisement à notre tour.
Les vidéos de Skarblown Animations sont donc des voyages et des expériences sensoriels et philosophiques, où on aime se perdre et se retrouver sur des sujets qui ouvrent notre champ des possibles. Pourtant, malgré la beauté et la fulgurance de certains épisodes, que ce soit dans l'humour ou même les moments vraiment prenants, je dois avouer trouver certaines longueurs lorsque les épisodes durent beaucoup trop longtemps. Le rythme est plutôt bon, mais le fait de majoritairement démarrer ses vidéos avec un rythme soutenu et aller vers une dilatation et un ralentissement continu, rajouté au fait que l'on ait que trop peu de contraste dans la lecture et la mise en scène (allant très souvent du plus énergique comique au plus grave et au ton le plus lent dans une dégradation du rythme), on peut trouver le temps long malgré que l'on soit happé par l'essai. C'est le risque de tous les essais, et il suffit que Skarblown aille dans des embranchements et divagations trop poussé pour que l'on ait du mal à tenir un rythme qui s'apparente parfois à un cours magistral. Sans même chapitrer les épisodes ou forcer des blagues, il aurait peu être été intéressant que certains épisodes soient mieux rythmés, avec des temps de pauses, voire des moments plus dynamiques avec des changements de registres, afin que l'on puisse casser une forme de monotonie et une lourdeur qui s'installe lorsque l'on doit assimiler et suivre certaines vidéos. Cela est sans doute grandement dû aux moyens techniques qui empêchent certaines animations d'être trop dynamiques, et ainsi proposer des phases plus visuelles par rapport à d'autres. Il n'empêche en rien que je ne peux qu'être impressionné et profondément touché par le travail de Skarblown, qui se livre à cœur ouvert sur des sujets parfois difficile, n'hésitant pas à se mettre à nu (parfois littéralement à travers le dessin) en exposant sa vie à coup de crayon, et dépeignant l'humanité avec toutes ses richesse à travers elle.
Il y a deux jours, il a posté sa dernière vidéo (sans doute une de ses meilleures) peut être considérée comme une vidéo d'adieux. Même si ce dernier dit avoir d'autres idées pour possiblement d'autres vidéos, j'aime à penser que cela peut être la fin d'un chapitre, un tournant, voire même une possible fin à toute cette série d'animation. Non pas que je n'aime pas ce qu'il produit, bien au contraire, mais parce que sa démarche apparait tellement comme désintéressé de tout regard extérieur que voir cette chaine s'achever sur cette dernière vidéo ne me dérangerait pas. L'artiste me manquerait forcément, mais il m'aurait permis de m'évader à travers des épisodes tous plus enrichissant les uns que les autres, que le simple fait qu'il se sent complet et épanouis dans son œuvre suffit à ne pas attendre d'avantage de lui, chacune de ses nouvelles vidéos seraient comme un cadeau que j'accepterais volontiers. Celle-ci transpire d'une poésie et d'une générosité sans retour qu'il est difficile de remettre en cause, et beaucoup trop rare sont les chaines Youtube à me faire penser cela.
16,5/20
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