Saison 1:
Je n'avais guère que quinze ans quand "l'Arnaque" (de George Roy Hill, avec Redford et Newman, quand même...) explosa sur les écrans du monde entier. Premier film de "con-men" (comme disent les Américains), premier film avec twists, bref une sorte de prémonition du film hollywoodien de divertissement du XXIème siècle. Une forme de divertissement malin qui me ravit... et qui fait que, pas loin d'un demi-siècle plus tard, il m'est difficile de cacher mon plaisir devant cette première saison de "Sneaky Pete", dont le scénario inventif nous propose une relecture - double, qui plus est - de la fameuse arnaque originelle. Co-produite par Bryan Cranston, qui s'attribue ici un rôle délectable d'ordure sadique, "Sneaky Pete" a forcément des échos de "Breaking Bad", en particulier dans cette vision désabusée, mais assez drôle, d'une société américaine profondément corrompue par la cupidité, où peu de rapports humains résistent à la lâcheté, aux mensonges et à l'hypocrisie.
Malheureusement, et malgré le plaisir indéniable qu'on en tire, "Sneaky Pete" souffre de plusieurs défauts majeurs qui la tiennent éloignée des sommets de son modèle : tout d'abord les innombrables failles d'un scénario qui ne tourne jamais vraiment rond, qui abuse de la crédulité du téléspectateur et passe souvent en force pour éviter qu'un peu de réflexion ne révèle les dysfonctionnements d'une intrigue qui veut se faire passer pour plus maline qu'elle ne l'est en réalité. Et ça, pour un film sur des escrocs et leurs escroqueries, c'est assez rédhibitoire... Ensuite, le choix malheureux en tête d'affiche de Giovanni Ribisi, acteur de seconde zone qui attira notre sympathie il y a près de 20 ans de cela, et qui s'avère visiblement mal à l'aise lorsqu'il s'agit d'incarner un maître de l'embrouille et de la manipulation : trop tourmenté, trop fragile, il échoue largement à transmettre la maîtrise qui est indispensable à la réussite de ses arnaques.
Reste pour moi le plaisir vaguement régressif de la revanche des plus malins sur les plus fort, envers et contre toute logique, et surtout contre l'adversité qui s'acharne à contrecarrer les stratagèmes les plus élaborés...
[Critique écrite en 2018]
Saison 2 :
Un an plus tard, on a un peu digéré les qualités - intelligence, rapidité, excitation - et les défauts - complexité exagérée et brouillage des pistes irritant - de "Sneaky Pete", la série astucieuse de David Shore et Bryan Cranston...
... qui nous revient avec une nouvelle aventure sous pression d'un "con man", certes capable de jouer impromptu n'importe quel rôle, mais sur lequel s'accumule une quantité invraisemblable d'ennuis et de menaces (dont certaines mortelles...).
L'intrigue a démarré dans les dernières minutes du dernier episode de la première saison, et est donc par de nombreux aspects l'extension directe de celle-ci : c'est cette fois la famille adoptive de Marius qui est toute entière menacée, entre une enquête de police qui se rapproche de la patriarche, un tueur à gages déterminé à venger son père, et des truands "native american" à la brutalité décomplexée. Tandis que Marius se débat entre les griffes d'un Monténégrin psychopathe, adorant l'usage de l'acide, et qu'il espère escroquer de la bagatelle de 11 millions de $, c'est le passé bien caché de la famille qui ressurgit et ébranle le chateau de cartes que Marius a patiemment construit. Bref, la richesse de l'intrigue est stupéfiante, et après un démarrage malheureusement un peu fastidieux durant les 3 premiers épisodes, "Sneaky Pete" nous offre d'incroyables montagnes russes culminant - comme c'est la règle du genre - dans un final (sur les 3 derniers épisodes) littéralement tétanisant.
Les coups de théâtre à répétition et les retournements de situation permanents pourraient certes s'avérer fatigants, si le rythme de la mise en scène et l'abattage des comédiens - avec une fois de plus un bémol quant au jeu lunaire de Ribisi, sorte de Droopy dont on a parfois du mal à saisir le supposé brio - ne nous embarquait généreusement. En dévoilant - assez étonnamment en fait - le "truc" derrière un célèbre tour de prestidigitation, "Sneaky Pete" fait certes écho au succès discutable de "Insaisissables", mais c'est surtout au "Neuf Reines" argentin que le dévoilement de la manipulation fait référence.
Reste que le vrai triomphe de cette seconde saison, c'est de relativiser immédiatement dans un anti-climax dépressif le "triomphe de l'intelligence" : aussi brillant soit-il, Marius ne peut rien contre les sentiments les plus "animaux" - haine, jalousie, soif de vengeance - et surtout les plus irrationnels, qui finissent par primer. La victoire de l'esprit (ou de la raison...) est éphémère, et la noirceur du monde s'est encore rapprochée. Gageons que la troisième saison creusera de nouveau ce sillon, et ajoutera encore de la profondeur à cette série, qui ne se limite plus à de simples "mind games".
[Critique écrite en 2019]
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Saison 3 :
Je peux bien l'avouer maintenant que la série est terminée : j'aime beaucoup "Sneaky Pete", je l'ai même aimée de plus en plus au fil des saisons, et sa belle conclusion - ni excessivement sentimentale, ni trop délibérément cruelle - n'a fait que me conforter dans cette affection. Oui, je me suis même habitué à l'interprétation paradoxale de Giovanni Ribisi qui s'est ingénié à détruire toute flamboyance dans son personnage d'arnaqueur en pleine maîtrise de son Art... mais néanmoins toujours plus ou moins victime de circonstances extérieures réduisant ses efforts à néant, ou presque. Et la bonne surprise, l'intelligence peut-être de cette ultime saison, c'est de ne pas tenter une troisième histoire d'arnaque superlative, mais de nous entraîner presque malgré nous dans les tréfonds de cette histoire de famille qui était jusque-là plutôt une toile de fond.
Oh, il y a bien ici une histoire de double arnaque empilée (aux grands crus, aux tableaux de maîtres) qui nous fournit notre ration de coups de bluff et de coups de force qui nous laissent inévitablement afmiratifs, mais elle n'est que secondaire par rapport à la recherche incrédule des traces de cette mère disparue, qui plombe littéralement l'ambiance. Et débouche sur une conclusion faussement décevante... et plutôt réaliste.
Moins complexe peut être (encore que...) que les deux premières, cette dernière saison met donc l'accent sur la mutation de Marius, qui s'est humanisé au contact de sa famille d'adoption et n'est plus le monstrueux calculateur froid des débuts, mettant par là-même en danger ses propres "constructions". Heureusement, cet aspect plus "humain" et sentimental du personnage ne débouche pas sur un happy end facile comme on aurait pu le craindre un temps. Car à la fin, le "lonesome cowboy" reprend sa route dans le soleil couchant, sans qu'il soit possible d'affirmer que sa venue a apporté quoi que ce soit de meilleur au monde qu'il a traversé. Et ça, c'est très beau.
[Critique écrite en 2019]
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