Son savoir-faire a beau placer ses productions dans le haut du panier de l’animation japonaise contemporaine, d’aucuns n’hésitent pas, à juste titre, à reprocher à Kyôto Animation son immobilisme et son absence de prises de risque. Pour une production originale (Tamako Market), le studio joue par ailleurs le jeu d’une industrie essentiellement axée sur l’adaptation de mangas, romans ou autres visual novels. Toutes, ou presque, se situent d’ailleurs en milieu scolaire et dans le registre suranné de la tranche de vie, quand bien même il s’agit d’investir le fantastique (La mélancolie de Haruhi Suzumiya, Beyond the boundary). À ce criant manque d’ambition, KyoAni répond par le soin absolu accordé à la mise en images de ses projets. On l’a dit, ses œuvres font preuve d’une évidente maîtrise visuelle qui le place à mille coudées au-dessus de la concurrence, transcendant au pire les plus discutables des récits qu’il met en scène.
(toute allusion à Free et à ses personnages insupportables ne serait évidemment que pure fabulation)
Hibike! Euphonium ne risque pas de changer la donne. Plongée dans le quotidien de lycéens musiciens – majoritairement lycéennes – qui vont tout faire pour que leur fanfare accède au concours national, Sound! Euphonium est pourtant l’un des bons animés du studio, bien qu’il en soit aussi l’un des plus frustrants.
Sa très jolie deuxième partie de saison nous ferait ainsi presque oublier qu’elle est une série au potentiel bridé, faisant tenir en 13 épisodes ce qui aurait gagné à être développé en 24. Si l’on s’en tient à ce qu’il a à proposer et à la manière dont il le fait, il est pourtant un animé qui fonctionne plutôt bien en l’état. Comme toujours, KyoAni porte un amour et un intérêt tout particulier à ses personnages – superbement chara designés par Shoko Ikeda, aux personnalités clairement définies et parfois plus complexes qu’elles n’en ont l’air. Les enjeux sont simples, les thématiques abordées de manière limpide : il y sera question d’un objectif à atteindre et des efforts, progrès et sacrifices nécessaires à son accomplissement. Le tout se suit avec plaisir et réserve son lot d’instants marquants, presque bouleversants, ainsi que nous y a si souvent habituée une équipe jamais aussi douée que lorsque vient le moment de mettre en scène l’intimité de ses personnages. La relation entre Kumiko et Reina est passionnante à cette aune, quoique l’on peine à en saisir la finalité (les deux se font la tronche, puis se parlent, puis rougissent à la vue de l’autre, puis marchent ensemble, puis manquent de s’embrasser, puis…). Même quand ses tranches de vie se noient dans l’anecdotique le plus total, Sound! Euphonium nous rappelle à la beauté de ses images et à la facilité presque désinvolte qu’ont ses créateurs à développer une ambiance éthérée ; ici cohérente avec le sentiment d’incertitude des personnages, arrivés dans la période difficile des choix et des prises de décisions. Bref, on pourrait se contenter de la sensibilité extrême d’un animé qui n’a pas de quoi rougir, si ne demeurait pas cette impression latente qu’il passe à côté de son sujet.
WHISPLASH
Bien sûr, autant dire qu’en dépit des évidentes différences dans le traitement d’un tel postulat, le rapprochement avec le fabuleux Whiplash de Damien Chazelle semble inévitable. Plus qu’une alternative animée à ce dernier, Sound! Euphonium doit, dans l’absolu, se voir comme la face opposée d’une même pièce. Le cinéaste argentin consacre son film à un personnage et au combat – autant contre les autres que contre lui-même – qu’il va devoir livrer pour faire exploser le talent qui sommeille en lui et intégrer l’orchestre de son professeur. À l’inverse, l’héroïne de la série n’a pas de talent particulier, ou n’est en tout cas jamais abordée en tant que telle. Loin du canevas classique consistant à suivre son évolution, Sound! Euphonium va se servir du personnage pour s’intéresser à la notion de groupe et d’harmonie en son sein. Ici, c’est la réussite de la fanfare qui importe et non celle d’un membre en particulier, fut-il, comme Reina, mû par un refus obsessionnel de l’échec. Pour autant, si émulation et rivalités sont deux des composantes de la série, celle-ci tend à leur préférer une plongée abusive dans un quotidien on ne peut plus banal et clairement sans importance à l’aune des défis personnels qu’impliquait un tel postulat.
Plus que la musique et le dépassement de soi qu’elle implique, c’est donc avant tout l’adolescence qui obsède Sound! Euphonium, avec ce que cela comporte de futile compte tenu du contexte – taille de la poitrine de l’héroïne, amourette… et de plus profond. La place de la passion dans la vie d’une lycéenne, les désillusions liées au talent d’autrui, l’apprentissage de l’échec, le lycée comme symbole d’une transition vers la vie d’adulte… Nombre de thématiques et de personnages passionnants contribuent à renforcer l’intérêt du récit. Hélas, par un déséquilibre flagrant entre la musique et les à-côtés du quotidien, l’animé parle plus de travail qu’elle n’en montre, vante « tout ce qu’a fait le professeur » en limitant ses confrontations avec ses élèves, évoque l’unité du groupe sans jamais nous la faire ressentir. Le dernier épisode est symptomatique de l’échec de l’animé sur ce point : le fameux concert final ne donne jamais l’impression qu’il est l’aboutissement des douze qui l’ont précédé. On pointera moins du doigt une mise en scène distante qui peine à susciter le moindre enthousiasme, que le fait d’avoir éludé tout ce qui faisait l’essence de cet accomplissement, à savoir les difficultés, les efforts, les conflits, la naissance du groupe, la supériorité du collectif face aux talents individuels de ses membres.
GIRLHOOD
En prenant le parti de suivre l’évolution du groupe par le prisme de Kumiko, l’animé fait également le pari de les lier l’une à l’autre. L’évolution fonctionne d’un point de vue individuel : la série réussit sans mal à traduire la prise de confiance progressive de Kumiko, sa capacité à prendre la parole à motiver ses camarades ou à se confronter à ses doutes. Le fait que la fanfare entière connaisse une évolution similaire est en revanche un choix déstabilisant. Le travail musical est régulièrement éludé (les auditions sont par exemple traitées en cinq minutes chrono), zappant ainsi le pourquoi des progrès du groupe. Mais plus que de progrès purement techniques, il est régulièrement ici question d’harmonie, d’unité dans la performance musicale. Des notions certes difficiles à traduire à l’image mais qui ne sont tout simplement jamais effleurées autrement que par des phases de dialogues nous mettant devant le fait accompli. Séduisante dans l’absolu, l’idée de traiter de l’influence directe du quotidien sur la progression n’est jamais vraiment mise en scène, à l’image de cet épisode 4 où Kumiko évoque le rassemblement de l’orchestre face aux reproches du professeur, évacué en trois plans et une voix-off. Justifiable ici, cette dernière devient rapidement exaspérante lorsqu’il s’agit de paraphraser ou d’expliquer ce qui est clairement exprimé par l’image (Reina jouant de la trompette pendant une réunion).
Exaspérant, comme les tics de mise en scène des différents réalisateurs du studio, multipliant par exemple les plans sur les jambes des personnages. Efficaces en tant que pillow-shots, ceux-ci finissent vite par devenir de simples plans de coupe par effet d’accumulation. L’une des quelques scories d’une réalisation particulièrement efficace par ailleurs, parfois brillante. Le duel pour le solo de trompette est l’un des meilleurs moments du show, la supériorité de Reina nous étant clairement communiquée en deux plans qui se font écho et un travelling arrière. On le répète : c’est quand KyoAni épouse les sentiments de ses héroïnes que la série gagne en intensité émotionnelle. La capacité de ses détracteurs à se gausser de la prétendue homosexualité de ses héroïnes, au détour de scènes-clés, n’est rien face à la réelle intention de leurs créateurs. Les premiers émois sentimentaux ou sexuels font aussi partie de ce portrait de l’adolescence auquel se livre le studio, et sont à ce titre brillamment rendus à l’image.
Vous l’aurez compris, Sound! Euphonium ne manque pas de bonnes idées mais sa démarche les condamne trop souvent à l’état embryonnaire, car à la fois trop elliptique (la mise à l’écart de Kumiko de l’orchestre n’a jamais la moindre incidence) et inaboutie (la relation entre Kumiko et sa grande sœur). L’idée selon laquelle les instruments choisissent leur propriétaire et le définissent est excellente – Reina joue de la trompette pour se différencier, le tuba sert à accompagner les autres… mais demeure là aussi survolée dans le rapport qu’entretient Kumiko à son euphonium.
Plus mature qu’un Hanayamata, plus profond et autrement plus beau, Sound! Euphonium reste paradoxalement moins efficace dans l’évolution et la communion du groupe auquel il s’intéresse. Le constat est donc inévitable : bien que meilleure production du studio depuis la première saison de Chūnibyō demo koi ga shitai!, la série ne parvient qu’à de rares occasions à atteindre son plein potentiel. Il reste donc un portrait de l’adolescence joliment mis en images mais à peine transcendé par l’aspect musical qui aurait dû en constituer la substantifique moelle. Définitivement frustrant.