Seong Gi-hun est un loser: loser aux jeux dont il est accro et à cause desquels il a accumulé les dettes auprès d'usuriers; loser dans sa vie personnelle, puisqu'il a manifestement perdu sa famille et se voit obligé de retourner vivre chez sa mère; loser au jeu de la paternité, puisqu’il veut pouvoir s'occuper de sa fille mais n'en a pas les moyens.
Acculé de toute part, il rencontre un homme mystérieux avec un attaché case lui proposant de jouer à une variante du jeu de pog, lui accordant de l'argent s'il gagne et le giflant s'il perd. Après une tripotée de baffe dans la gueule, Seong Gi-hun fini par gagner une partie, et l'homme lui donne une carte avec un numéro de téléphone lu indiquant que s'il téléphone à ce numéro, il pourra participer à des jeux ayant des enjeux plus élevés.
Seong Gi-Hun va donc participer à plusieurs jeux inspirés de jeux pour enfants, mais aux conséquences mortelles pour un prix de 45 milliards de wons (environ 30 millions d'euros).
Tel est donc les prémisses de cette énième variation sur le thème de la Battle Royale et du jeu de massacre.
Alors en très vite et sans divulgâchages intempestifs, il faut dire que la série est intense, et se dévore à une vitesse folle. Elle est plutôt bien interprétée par des acteurs convaincants, et parle d'une société coréenne hyper-capitaliste gangrenée par l'argent et profondément fracturée entre riches et pauvres (comme avait pu le montrer de manière moins frontale Parasite de Bong Joon Ho dernièrement) . Ça assimile avec un certain bon sens les notions de travail et de mérite à la simple chance, et c'est parcouru de moments forts.
Reste que la plupart des enchaînements dramatiques et retournements de situations sont assez attendus et prévisibles, mais ne donnent pas pour autant une impression d'écriture paresseuse. C'est un peu trop évident par moments, mais c'est aussi à travers ces évidences qu'une certaine force dramaturgique surgit.
En gros, une bonne série de type Battle Royale qui sera probablement considérée comme un modèle et un classique de ce genre de récit dans les années à venir.
Voilà, maintenant, passons aux choses sérieuses et parlons plus avant de la série. Je conseille à ceux qui ne l'ont pas encore vu de ne pas lire la suite de ce billet car j'y dévoile des éléments essentiels de l'intrigue pour pouvoir développer le propos tenu tout du long par son scénariste et réalisateur Hwang Dong-hyuk.
Hwang Dong-hyuk veut cette série comme une allégorie du capitalisme sauvage et de la compétition forcenée entre individus qu'il induit, comme c'est souvent le cas dans les récits du même type qui ont fleurit au cours des trente dernières années tels que Battle Royale, Hunger Games, Liar Game,... et ce n'est surement pas par hasard, mais parce qu'ils pouvaient pousser sur le terreau fertile d'une réalité sociale et économique; la science-fiction, et la dystopie n'étant pas seulement des mises en garde sur un futur hypothétique, mais également, et plus souvent qu'à son tour, un constat d'une réalité actuelle, le reflet de notre propre enfer vu à travers un mirroir déformant.
Le choix de jeux pour enfants de la part du réalisateur et scénariste n'est évidemment pas anodin et est destiné à illustrer l'infantilisme (voire le coté capricieux?) du jeu capitaliste. Peut-on réellement voir une différence entre certains jeux auxquels nous jouions gamins et ce jeu, joué mondialement et impactant parfois de manière grave la vie des êtres humains partout sur la planète, qu'on appelle la bourse?
Je ne le crois pas, et à l'évidence Hwang Dong-hyuk non plus.
Si les gardiens de ce jeu sont masqués et représentés par des formes simples comme le rond, le carré et le triangle, c'est encore une fois pour renvoyer à l'enfance, mais aussi à l’infantilisme des structures hiérarchiques comme à l'infantilisation et la déshumanisation que ces structures (simplistes) hiérarchiques imposent à l'ensemble de la population, y compris à ceux qui sont censés en faire respecter les règles.
Si le frère du policier que celui-ci recherchait se trouve être l'agent, l'un des promoteurs/organisateurs du jeu, c'est pour illustrer un principe important si on se place dans le cadre du jeu comme une allégorie socio-politique. Ce personnage est avant tout le gagnant d'une édition précédente du jeu et par conséquent renvoie à cette réaction des gens qui après être arrivés au sommet, avoir gagné au jeu de la concurrence, ont tendance à défendre le système qui leur a garanti cette ascension.
Le microcosme des quatre-cent-cinquante-six joueurs renvoie au macrocosme de la société (en l’occurrence, ici, coréenne, mais dans ce monde globalisé, ça peut s'appliquer un peu partout) dans son ensemble.
Le fait que les participants au jeu soient désignés par un numéro participe d'une volonté de déshumaniser les participants et de renvoyer la masse des gens à des chiffres, à une simple statistique.
Si Seong Gi-hun porte le numéro 456, dernier numéro parmi les participants c'est pour mettre en exergue la caractérisation du personnage en tant que loser jusqu'à présent; il est le dernier des derniers.
Le fait que Oh Il-nam porte le 001 est signifiant, puisqu'il est non seulement l'instigateur, mais se désigne ainsi comme étant la personne la plus haute dans la hiérarchie des joueurs.
Ainsi l'opposition entre Oh Il-nam portant le 001 et Seong Gi-hun portant le 456 est l'illustration littérale du grand écart entre les nantis et les laissé pour compte de la société capitaliste.
Seong Gi-hun participe à ce jeu atroce, parce qu'il n'en a pas le choix, c'est pour lui une question de survie.
Oh Il-nam y participe, parce qu'il est déjà arrivé au sommet et que sa volonté de compétition effrénée, et encore une fois parfaitement infantile, n'est pas encore satisfaite.
L'opposition entre les deux hommes trouvera sa conclusion lors de leur ultime rencontre alors que Oh Il-nam fait un pari profondément cynique sur le fait qu'un homme à la rue ne sera aidé par personne avant que minuit sonne, et Seong Gi-hun soutient que quelqu'un lui viendra en aide, renvoyant les deux personnages à des visions inconciliables de la société humaine; Oh Il-nam croyant que l'homme est fondamentalement égoïste, Seong Gi-hun le croyant altruiste et capable d'empathie, tout simplement parce que leur expérience du jeu et la manière dont ils l'ont vécu chacun renvoie à ces deux modèles de pensée: Oh Il-nam y a participé de son plein gré en connaissance de cause, se sachant de toute manière condamné, et pour des motifs d'amusements personnels, alors que Seong Gi-Hun s'y est vu contraint par la nécessité, et au long de son chemin, s'est véritablement attaché à certains des participants avec qui on l'a forcé à rentrer en compétition; et à la toute fin il aurait été prêt à pardonner les traîtrises de son ami d'enfance Cho Sang-woo et à refuser l'argent pour pouvoir lui laisser la vie sauve.
Alors que les deux hommes attendent que sonne minuit (comme dans les contes de fées, renvoyant à nouveau à une dimension enfantine) pour savoir la vision de l'humanité qui va s'imposer, Oh Il-nam demande à Seong Gi-hun pourquoi celui-ci n'a pas touché à l'argent qu'il a gagné par son mérite puisqu'il a triomphé de la compétition, et même si Seong Gi-hun ni répond pas directement, on sait par son attitude que c'est parce qu'il sait que cette notion de mérite est une illusion que ce sont de nombreuses circonstances hasardeuses qui l’ont amené à triompher de l'adversité (tirages aux sorts multiples), ainsi que l'aide d'autres joueurs à des moments clés ( Abdul Ali lui sauvant la vie lors du jeu de un, deux trois soleil/feu rouge, feu vert ou l’entraide lors des massacres dans le dortoir). Le mérite est une notion bien pratique de l'ordre de la construction mentale et politique destinée à conforter l'ordre social établi de manière frauduleuse en octroyant à certaines personnes une dignité factice supplémentaire et en rendant responsable l'individu de ses échecs sans jamais remettre en cause un mode de fonctionnement collectif fondamentalement injuste et biaisé.
Le fait que plusieurs fois l'agent déclare que la compétition est et doit rester non faussée (comme la libre concurrence sans doute, haha! ) est évidemment teinté d'ironie de la part du scénariste puisqu'on constatera à mesure de la série que les passe-droits seront légions (Oh Il-nam laisse gagner Seong Gi-hun au jeu des billes et ne se fait pas descendre pour la cause, que certains joueurs auront recours à des artifices comme le briquet lors du jeu des pâtisseries, le médecin à qui on donne des informations sur le prochain jeu en échange de ses services,...)
Et c'est bien sûr la vision empathique du scénariste Hwang Dong-hyuk qui s'impose alors qu'au dernier moment, un homme qu'on avait vu précédemment revient avec la police pour prêter assistance au SDF transi de froid.
Et Seong Gi-hun, de déclarer simplement à Oh Il-nam qu'il sait qu'il a perdu même si celui-ci est décédé.
Suite à cela, le héros va changer de manière radicale: la coupe de cheveux rouge est à cet égard hautement symbolique, le rouge étant associé en Corée à la passion, aux sentiments et à l’action. Il régit notamment le soleil, le feu et le sang. Il est lié au Sud et à l’été, c’est la couleur qui peut exorciser les esprits malins. C'est évidement une couleur qui est également associée à un autre système économique que le système capitaliste. Puis, sortant de son apathie, il tiendra parole auprès de Jang Deok-su et de Cho Sang-woo en aidant le frère de la jeune fille et la mère de son ami d'enfance. Il se décidera ensuite à reprendre sa vie en main en allant voir sa fille, mais abandonnera cette quête individuelle pour se dédier à une quête plus collective: se mettre en recherche de ceux qui sont responsables du jeu, entraînant avec lui le spectateur à questionner les figures d'autorité et mettre à bas les responsables du jeu auquel nous avons tous le triste privilège de jouer.
La série parle également de la démocratie, et de sa difficulté( voire de son échec) à interrompre le processus engendré par la machine capitaliste. A chaque moment la majorité pourrait interrompre ce jeu de massacre, mais les participants, victimes tout à la fois de leur avidité, des difficultés dans lesquels ils se trouvent et de l'illusion auto-entretenue de la possibilité de leur "réussite" rechignent à l'interrompre.
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Alors forcément le discours est bien chouette et me parle tout particulièrement en tant que gros gauchiste, mais ça rend tout ce qui se produit assez évident, et la série n'est pas exemptes de défauts inhérents à cette écriture allégorique voulue par son réalisateur-scénariste.
J'ai vu arriver l'intrigue gros comme une maison dés le premier épisode, en devinant à peu près tout dés le départ: le vieux qui est l'instigateur du truc, le frère du flic sous le masque de l'agent, le fait que le personnage principal va être le seul survivant,...
Vous pouvez assez facilement vous dire: dans la prochaine scène, il va se passer ça, puis ça, et effectivement, ça ne manque pas, et il faudra vraiment avoir été très peu confronté à ce type de récit pour se faire surprendre par Squid Game.
Mais ça ne veut pas pour autant dire que c'est désagréable pour la cause car l’intérêt de la série se trouve moins dans ses retournements de situations que dans son propos, son déroulé, et dans la caractérisation de ses personnages. Il faut particulièrement souligner le très bon travail de l'ensemble des comédiens qui donnent du corps à ces personnages qui forcément rentrent dans les clichés imposés par l’exercice de l'écriture allégorique.
Alors oui, il y a forcément des trucs qui pris comme ça paraissent un peu ridicules. Que qui que ce soit décide de son plein gré de revenir participer à ce jeu de massacre après le premier vote en faveur de l’arrêt ne peut pas tenir debout.
De même que ce couple marié qui décident de revenir tous les deux dans le Squid Game, ou la réaction du mari à la perte de sa femme semble à coté de la plaque.
Je suis parfaitement d'accord, mais encore une fois, je n'y vois pas tant une paresse d'écriture que des figures imposées par le coté allégorique du récit.
Donc oui, Squid Game est une bonne série, avec de bons moments de tensions, et à la mise en scène efficace, même si l’intérêt du récit se trouve plus dans son propos implicite que dans son intrigue assez prévisible car passant par les figures imposées du jeu de massacre dystopique.