[Attention, c'est long. Très long. Et tout est spoil. Vous êtes prévenus.]
Tout le monde ne parle que de cette série, souvent pour l'encenser. Pris par la curiosité (et par mes insomnies) je suis donc allé voir ça par moi-même. Par principe, je ne note et je ne critique pas les séries sur SC, mais le visionnage m'a fait changer d'avis. Ca sera cependant la première, et la dernière fois que je commenterai une série ici.
Allons au vif du sujet. Squid Game est une série produite par Netflix (ça a son importance) dont la trame se passe en Corée du Sud et reprend peu ou prou le format d'un Battle Royale, un film que j'avais moyennement apprécié. Néanmoins, je suis plutôt fan de la plupart des productions coréennes que j'ai pu voir jusque là, et j'étais donc dans de bonnes dispositions avant de lancer le visionnage. Que dire de cette série qui fait tant parler d'elle ?
Premièrement : la DA est somptueuse. Elle n'est néanmoins pas si originale que certaines critiques le laissent à penser ; par exemple, l'esthétique autour de la bourgeoisie décadente de la diégèse est assez convenue, presque sortie d'un roman d'Huysmans ou de tout autre décadentiste fin de siècle. L'esthétique absurde qui émane du lieu des épreuves semblent suggérer une inspiration du travail de plusieurs peintres européens : un plan du deuxième épisode montre plusieurs livres qui semble mettre en exergue les inspirations du scénaristes : Magritte et Lacan sont mis en évidence, mais on retrouve dans le fond des noms comme Van Gogh, Picasso ou Monet, ainsi que l'Attrape-Coeur de Salinger. Malheureusement, difficile de distinguer le reste. L'influence de Magritte sur certains plans semble en effet assez frappante, notamment sur les masques d'animaux, et surtout d'oiseaux. La lumière est bien maîtrisée, les plans sont beaux, ce n'est pas forcément révolutionnaire mais c'est très élégant, tout en conservant une ambiance dérangeante. J'avais peur d'une esthétique orwellienne un peu topique, et la série ne tombe pas là dedans. De manière générale, tout ce qui a trait à l'image et à la DA est le gros point fort de cette série.
Puisque l'acting est souvent une affaire de goût et de couleurs (personnellement j'ai été plutôt satisfait), j'aimerais passer à l'écriture. A mon sens, la série souffre de plusieurs tares. La première, c'est tout simplement son format de série associée à un scénario de type Battle Royale. Comme il ne doit en rester qu'un, et que par définition on ne peut pas développer tous les personnages sur un trait d'égalité, c'est globalement assez facile de comprendre qui va mourir en fonction du temps d'écran de chaque personne, au point que ça en soit souvent gênant. Et comme ce défaut est assez évident, cela entraine nécessairement une surenchère d'effets dramatiques putassiers pour garder l'attention du spectateur. Entre les "morts" non cadrés (jésuification lourdingue de quelques personnages), les personnages récents auxquelles on invente une backstory à l'arrache parce que sinon leur mort n'aurait aucun impact émotionnel (la comparse de la nord-coréenne), les fusils de tchekhov grossiers (la fameuse scène du pont entre le criminel coréen et son amante)...On est servis. Finalement, Squid Game c'est quoi si on résume ? Un anti-héros plus ou moins humain, avec ses tares, qui "gagne" contre une sorte de terminator qui obtient soudainement sa rédemption à la fin. Au milieu, on a le mec sympa qui se fait tuer parce qu'il est sympa, la "fille forte" avec une backstory tragique, la brute épaisse, une sorte de diva qui finit à la Bonnie and Clyde... Pas très original finalement. Seul le personnage du vieillard me semble vraiment sortir des archétypes, mais les twists multiples et parfois mal amenés qui l'entourent le font passer lui aussi dans le cliché. Dommage. La série n'est pas non plus très crédible sur les réactions des personnages à mon sens, en gros c'est simple : la plupart des personnages se montrent cruels en jeu et se concentrent sur leur propres objectifs...puis sans raison apparente, ils se mettent tout à coup à agir comme des héros de tragédie grecque sans trop d'explications : la diva qui se suicide pour une piètre histoire d'égo blessé (quid de son enfant qui semblait si important ?), le terminator qui se rappelle du pouvoir de l'amitié (j'exagère à peine) et décide de se suicider plutôt que d'achever son dernier rival, l'homme marié qui se suicide alors qu'il a laissé sa femme se faire tuer...Incompréhensible, mais bon comme c'est bien filmé on pardonne.
Certains arcs narratifs n'apportent pas grand chose non plus à mon sens. Celui du policier par exemple. On n'est pas vraiment plus avancés au début qu'à la fin. Cette série est très bavarde, mais aussi remarquablement obscure, mais bon j'imagine qu'ils veulent plus expliciter dans une saison 2, qui arrivera nécessairement vu le succès de la série. Mais vous savez quoi ? En tant que divertissement pur, je trouve que c'est... une bonne série. Surcôtée, oui sans aucun doute, mais c'est un divertissement agréable, avec une superbe DA. Si on a dans l'idée que le but d'une série Netflix est avant tout de se divertir et de ne pas s'ennuyer, alors le contrat est largement rempli.
Alors pourquoi lui avoir mis la note la plus basse possible ?
Voici ce qui m'a frappé : une partie des gens prennent cette série pour autre chose que ce qu'elle est, et ça me dérange énormément. La série a un positionnement idéologique extrêmement ambigu et dérangeant : certains y lisent une sorte de critique du capitalisme et des élites décadentes, ou une remise en cause de nos codes moraux en tant qu'humains. Premièrement, n'oublions pas que c'est bien une série originale Netflix, donc il convient de s'interroger sur le messager. Ces séries sont avant tout produites pour satisfaire la demande commerciale d'un public (souvent en observant des algorithmes et des récurrences dans les succès du catalogue) plutôt que pour réellement transmettre des idées philosophiques. Et en l'occurence, j'en ai un peu ras le cul de voir des séries Netflix banker sur la critique du capitalisme, c'est difficile de faire plus cynique. Mais tentons quand même de faire abstraction du messager avant de poursuivre.
La série, en prétendant critiquer le capitalisme, souscrit pourtant dans tous ses codes à la thèse formulée par Plaute, puis popularisée par Hobbes : "L'homme est un loup pour l'homme".
Donne un paquet d'argent à un homme, et il se transformera en prédateur pour ses semblables. Je ne suis pas là pour débattre de si cette thèse est vraie ou non, sinon j'aurais écrit un essai plutôt qu'une critique sur ce site. En revanche, cette conception de l'homme est notoirement reconnue pour avoir fortement influencé les formes les plus impitoyables du libéralisme économique. La plupart des personnages de cette série passent littéralement leur temps à se montrer cruels, puis à regretter leur actes une fois que la charge morale est trop lourde à porter, comme s'ils ne faisaient que lutter contre leur instinct de survie, naturellement prédateur, en situation d'anomie. Il faut être conscient que traiter le sujet de cette manière, c'est déjà un parti-pris. Mais le plus dérangeant, c'est que la série insiste lourdement sur le fait que les participants ont le choix de jouer à ce jeu cynique et c'est même l'un des ressorts dramatiques de la série
Ce thème du choix revient régulièrement dans la bouche de ceux qui organisent les jeux, ce qui est logique puisque les organisateur évoluent selon toute vraisemblance dans la très haute finance et sont les pontes d'un libéralisme dégénéré. Ce sont des usuriers sans scrupules, qui défendent leur propre moralité en estimant que les gens ont le choix de souscrire ou non à des emprunts, comme ils ont le droit de refuser de participer au jeu. Cette conception revient aussi chez un participant comme le diplômé de Séoul qui évoluait également dans la très haute finance, c'est également logique. Le vrai problème, c'est qu'il revient en vérité chez tous les participants, y compris parmi les victimes de ce système. Et si la valeur réelle de l'argent par rapport à la vie humaine est plus ou moins questionnée, la question du libre-arbitre des candidats ne l'est absolument jamais, ce qui enlève beaucoup de responsabilité au jeu lui-même et aux organisateurs pour porter la suspicion sur la nature humaine elle-même. L'idée que le jeu peut être stoppé si les joueurs choisissent à la majorité de l'arrêter et que le jeu se poursuit malgré tout est un avatar de cette idée, tout comme le fait que 90% des joueurs reviennent d'eux mêmes pour jouer au jeu quand ils se rendent compte que leurs opportunités sont bouchées dans le monde réel. A ce titre, le message de la série semble extrêmement trouble. J'ai même vu des critiques sur Youtube, assez choquantes, qui questionnaient l'immoralité du Squid Game dans la diégèse, en se reposant sur l'idée que le choix démocratique était conservé et que ce jeu résorbait l'équité des chances (comme les organisateurs le clament à l'envi). C'est un contre-sens majeur, et j'ai été effaré de voir de telles idioties ; Où est l'équité dans ces jeux qui avantagent l'essentiellement les plus forts physiquement et les moins scrupuleux ? Où est l'équité quand l'organisateur principal participe aux jeux et décide du vote final après la première épreuve ? Où est l'équité lors de l'épreuve du pont, lorsque qu'on réduit à néant la compétence d'un homme pour le forcer à jouer sa survie au hasard ? Le Squid Game illustre la parodie qu'est la méritocratie dans une démocratie défaillante ; si les autres épreuves demandent des compétences précises, au moins atlétiques, celle du pont est laissée complètement au hasard. Ceux qui survivent sont simplement les plus chanceux. Et pour le coup, je pense que c'est un choix volontaire et délibéré ; je ne ferai pas le procès à la série d'être malveillante, mais simplement de porter à confusion et d'induire de fait beaucoup de spectateurs en erreur sur la nature du Squid Game. Mais cette confusion n'est pas seulement liée à la bêtise de certains spectateurs.
Ce que je reproche à Squid Game, c'est de vouloir vouloir brouiller les enjeux moraux en rendant ambigu ce qui ne l'est parfois pas du tout, notamment en évacuant par les coulisses la question du libre-arbitre, pour préférer la remise en question de la nature humaine, qui sera inévitablement perçue, après le visionnage, comme extrêmement violente. Squid Game fait partie du système qu'il prétend dénoncer et souscrit malgré lui (sans doute inconsciemment) à une certaine idéologie par le traitement de ses sujets. Le plan qui peut résumer tout Squid Game est une des scènes finales, où les deux protagonistes parient sur la mort d'un SDF, l'un pariant qu'on ira l'aider, l'autre qu'on le laissera mourir. Le SDF finit par être aidé. Mais par qui ? Par des passants ? Non. Par la police. Des personnes dont la profession leur impose de toutes façons de surveiller les rues et d'aider le SDF. Même si le pari est "gagné", par sa réalisation il n'invalide pas le postulat du vieillard selon laquelle l'homme est cruel par essence. Le Léviathan a gagné.
Squid Game n'est pas une série neutre dans son traitement.
Aucun produit culturel n'est anodin. Toutes les séries que nous consommons impactent nos valeurs et notre vision du monde, consciemment ou non. On ferait bien de s'en souvenir.
Doit-on regarder la série ? Oui si on cherche un bon divertissement. Mais si votre ambition est de méditer sur la nature humaine, cherchez ailleurs. Le plus loin possible de Squid Game.