Je commence à m'y connaître mine de rien en matière de séries audios et Styx représente pourtant la première série réaliste que j'ai écouté sous ce format. Enfin, "réaliste" est un bien grand mot puisque comme son titre évocateur le suggère déjà allégrement, nous sommes ici en présence d'une allégorie de l'Enfer où chaque épisode va être dédié à l'un des pêchés capitaux tandis que notre infortuné protagoniste tente de se remémorer les évènements passés alors qu'il est contraint à l'immobilité (mais néanmoins conscient de son environnement durant son hospitalisation). L'approche est ainsi singulière : pour la première fois, à ma connaissance, dans le cadre d'une série audio, nous ne suivons pas un personnage en mouvement mais un héros au contraire allongé et muet durant une grande partie du récit alors que le personnel médical s'active autour de lui pour comprendre la cause de sa maladie et deviner ses origines; une sorte de position intradiégétique avec la posture de l'auditeur lui même, écoutant normalement cette série avant de dormir, une fois la nuit tombée. Et un choix créatif qui permet d'entrée de jeu de mieux saisir l'exceptionnelle composante sonore de la série : la spatialisation du son est excellente et on distingue nettement à l'oreille quand un médecin se tient à la droite ou à la gauche du patient ou se penche vers lui (vers nous) pour mieux l'examiner; même chose pour l'excellent montage sonore qui entremêle avec brio les réminiscences des souvenirs de l'amnésique avec les bruits de sa chambre d’hôpital; même chose pour la musique incroyable interprétée par l'opéra de Paris, excusez du peu, musique qui s'avère également intradiégétique puisque l'opéra tient également une place dans l'intrigue. Les séries Audible peuvent certes sembler onéreuses quand on les achète sans abonnement mais clairement, il n'y a pas de foutage de gueule sur la conception auditive et la revendication d'immersion souvent rabâchée sur la plate-forme n'est pour le coup pas usurpée, même jusque dans la qualité de l'interprétation; à noter qu'il ne s'agit pas vraiment de doublage à proprement parler (de telle sorte que vous ne retrouverez pas les voix familières rompues à l'exercice) puisque le Making Of nous apprend que la série a été tournée comme une fiction traditionnelle avec de nombreux capteurs sonores, de quoi offrir également un beau rôle à Dali Benssalah dont j'avais déjà apprécié le travail sur Batman : Autopsie.
Un travail d'orfèvre pour dépeindre malheureusement un récit qui n'est pas toujours à la hauteur des talents déployés : alors que l'intrigue s'acheminait comme un intriguant jeu de pistes pour reconstituer le puzzle mental de l'inconnu amnésique...Le scénario se tire une balle dans le pied dès le second épisode en dévoilant d'entrée de jeu la véritable tonalité de son histoire : comme le pitch pouvait déjà largement le faire suggérer, il s'agit bien d'une histoire d'espionnage à la XIII où le patient inconnu gravite autour d'enjeux géopolitiques et d'identités secrètes. Dommage de mettre fin aussi rapidement aux questionnements de l'auditeur, d'autant que ce second épisode commence, comme par hasard, dans une tonalité érotique avec la luxure comme pêché capital évoqué; de là à considérer que l'auditeur est un peu pris pour un jambonneau et qu'il faut tout clarifier dès la mise en place des enjeux pour ne pas perdre le public en cours de route...Il y a sans doute une volonté de complaisance un peu trop prononcée envers le public large d'Audible; une démarche sans doute compréhensible dans la mesure où la série semble avoir bénéficié de moyens importants pour son enregistrement et qu'il fallait sans doute garantir sa rentabilité sur la plate-forme. Fort heureusement, une fois passé cette première impression désagréable, le récit va tout de même s'avérer plus épineux dans sa chronologie confuse et la reconstitution des évènements passés et force est de constater que cette fiction n'a également pas peur de se mouiller les mains en évoquant frontalement les tensions au Moyen-Orient et...La crise diplomatique entre l'Ukraine et la Russie, quelques années avant l'invasion ordonnée par Poutine; sinistre pressentiment du scénariste qui avait visiblement bien cerné les tensions grandissantes entre les deux pays et dont il apparaît presque un peu saugrenu aujourd'hui d'entendre parler du risque d'affrontement alors que ce dernier est maintenant une réalité depuis plus de deux ans, déjà.
Et c'est également pour moi l'occasion de mentionner un aspect qui n'est pas réellement un écueil ni même une critique personnelle mais que je me dois néanmoins d'évoquer par rapport à mon ressenti individuel : entre les thématiques pas franchement joyeuses abordées, les traumatismes que le personnage revit à travers ses souvenirs recouvrés et le calvaire enduré durant sa convalescence, la série dégage une ambiance franchement anxiogène et étouffante, de telle sorte qu'il m'est difficile de la conseiller sans appréhension comme d'autres séries audio. Je ne suis pas contre de frisonner parfois avant de m'endormir (je vous renvoie à mes avis sur les séries audio Alien en ce sens) mais dans le cas présent, le malaise du héros est vraiment palpable et communicatif alors qu'il vit véritablement l'enfer durant une semaine; là aussi, le titre de la série n'est pas usurpé et même si on peut louer le récit de se conformer à cette revendication métaphorique, il m'a été difficile d'enchaîner souvent l'écoute de plus d'un épisode par soir et j'ai un peu freiné avant d'achever la série dans son entièreté. A ce titre, la fin est malheureusement teintée d'une certaine déception puisqu'il s'avère que la série n'est pas réellement conclusive; le récit s'achève sur un cliffhanger intéressant qui invite l'auditeur à reconsidérer sous un autre angle les informations accumulées jusqu'ici mais l'intrigue n'est pas réellement achevée pour autant, sans doute dans l'expectative d'une deuxième saison qui n'est pour l'heure pas encore une réalité.
Bref, je me retrouve dans ce paradoxe délicat d'avoir apprécié sincèrement les qualités formelles de l’œuvre et d'être néanmoins dans une position un peu mitigée pour la conseiller sans réserves; je suis content d'avoir écouté la saison dans sa globalité mais je doute quelque peu que je la redécouvrirais intégralement avant un long moment et si ce récit devait rester sans une véritable suite, je ne pourrais me départir d'une impression que l'ensemble est certes superbe dans sa fabrication mais malgré tout quelque peu vain dans son propos.
Et c'est là que j'ai envie de dire, que c'est aussi à vous de sauter le pas et de vous faire votre propre avis en la matière, le seul qui importe véritablement au bout du compte. ;)