On a beaucoup, énormément, parfois lourdement, clamé à corps et à cris que The Wire était la meilleure série du monde. De manière générale, ce genre d’étiquette m’a toujours un peu gêné, ne serait-ce que pour deux raisons. La première, c’est que cela voudrait dire que l’on ferme impartialement la porte aux autres prétendantes. La seconde, c’est que l’on expulse arbitrairement toutes les personnes qui ne seraient pas d’accord ou qui, tout bonnement, auraient peur d’avouer qu’en fait, eh bien non, elles n’ont pas aimé The Wire. Il n’empêche que Sur écoute (en français dans le texte) est une série atypique dans l’histoire de la télévision américaine.
A la période de sa diffusion, personne ne la regardait; HBO la produisait parce que la série ne lui coûtait guère et qu’elle lui assurait dans la foulée une renommée critique lui permettant de bomber le torse auprès de ses pairs. On l’a donc redécouverte lorsque son existence arrivait à terme, principalement grâce aux éditions DVD et à un bouche-à-oreille des plus favorables. Ce qui lui confère un statut à part, donc, c’est qu’elle est ouvertement et frontalement engagée. Beaucoup de fictions contemporaines possèdent une dimension critique, qu’elle soit satirique ou politique, mais en arrière plan de leur ensemble narratif. On peut regarder The Wire comme une exigeante série policière (ce qu’elle est en partie) mais elle demeure, avant tout, un pamphlet résolument désenchanté sur les ramifications, les dérives et les ravages d’un système capitaliste proprement désastreux. C’est, d’ailleurs, ce qui nous est donné à voir : The Wire commence par un trafic de drogue et montre tous les niveaux et tous les réseaux que ce trafic alimente; à l’instar de Lester Freamon et de sa célèbre sentence (« Lorsque l’on remonte la filière de la drogue, on trouve des junkies et des dealers. Mais si on commence à suivre la filière de l’argent, alors on n’a pas la moindre putain d’idée de vers où on se dirige »), l’argent est bien le seul maitre à bord qui met tout le monde d’accord. Plus que son impressionnante (et très cohérente au demeurant) galerie de personnages, l’œuvre de David Simon fissure notre écran de télévision pour nous immerger dans une réalité qui nous dépasse et qui, pourtant, nous entoure au quotidien.
Jamais, je crois, une série ne m’avait à ce point ouvert les yeux de manière aussi ambitieuse et brillante sur le monde, sur ses rouages, sur sa logique (ou son absence de), me laissant à la fin la sensation d’appartenir pleinement à l’ensemble. Avec aussi le sentiment d’avoir peut-être, peut-être, un rôle à jouer.