BODY-MORE MURDALAND
( = "plus de cadavres au pays des tueurs" ) ...aka Baltimore Maryland, jeu de mot avec le nom de la ville et de l'état, le graffiti est réel il me semble. Image tirée du générique de cette excellentissime série qu'est THE WIRE (Sur écoute)... Une fresque humaine étalée en 5 saisons de critique sociologique fouillée, de génie narratif, d'intrigues captivantes, d'acteurs superbes... A ce niveau là ça n'est plus du divertissement, c'est un roman télé-visuel. C'est même carrément une étude de la société sur la violence urbaine et ses racines, une vive critique de l'inefficace et destructrice "guerre contre la drogue" tout autant qu'une photographie de la violence fratricide des habitants des ghettos. Une mise en images et dialogues de cette "vie folle" des dealers et membres de gangs (et des flics qui essayent de réguler tout ça quand il y à trop de morts), c'est vraiment une fine analyse de cette spirale de mort qui détruit un tissu social et des communautés déjà maltraitées depuis trop longtemps.
La série expose brillamment devant nous les connexions entre : système scolaire à bout de souffle, misère sociale, politique politicienne intrinsèquement corruptrice, policiers bien intentionnés mais loyaux serviteurs d'un état pourris par nature, influence des médias, tricheries et manipulations sur les statistiques etc... La sensation de réel et de profondeur sont bluffants et assez unique pour un programme télé, HBO à produit ici une perle, largement à la hauteur qualitative des Sopranos, de Oz ou de The Shield. Certains la décrivent comme la "meilleure série du monde", je suis d'accord avec cette appellation pour de nombreuses raisons. D'ailleurs pour plus d'immersion et de justesse je conseille vivement de la voir en VO sous-titrée français, car comme souvent avec la VF on y perd beaucoup.
En fait la seule critique négative que je lui ferais c'est que même si la série est très intelligente, non manichéenne, avec des personnages attachants etc, elle manque un peu de flics corrompus et violents pour correspondre plus à la réalité (il y en à hein, mais trop peu et souvent c'est juste des idiots malgré eux...). Le portait de la Police est un peu trop complaisant par moments, même si c'est subtil et qu'il y à des exceptions. Bon la série à été écrite par un ex-flic et un ex-journaliste (aidés par de très bons scénaristes) donc rien d'étonnant... Pas surprenant aussi qu'il n'y ai pas de remise en cause directe du capitalisme, du système ou de la civilisation /urbanité... mais ça n'est pas le thème, et ça n'aurait pas été très malin de le faire trop frontalement. Il manque aussi peut être des rappels sur l'histoire de l'esclavage et de ses descendants aux USA, et de la politique appliquée à ces populations depuis l'abolition, qui explique pour beaucoup les situations et mentalités des afro-américains. Un publique français lambda n'est pas forcément au courant de tout ça, déjà que souvent on ne connait pas l'histoire de notre propre colonialisme français et des habitants de nos banlieues...
En filigrane dans la série, si on réfléchit un peu, c'est pourtant le seul constat honnête qu'il y a à faire : le système étatique est intrinsèquement non fonctionnel, oppressif, hyper violent et inégalitaire. Normal que les plus pauvres soient souvent très violents dans leur quête de survie ou de progression dans l'échelle sociale. Le discours résumé de la morale de la série pourrait être : "le système est foutu, car il ne pouvait pas fonctionner", mais il manque juste le "Pourquoi?", en fait la série ne prends pas les gens qui la visionne par la main (et c'est bien!), l'analyse radicale est laissée à la réflexion /discrétion des spectateurs... Les plus curieux ou avisés devineront, mais s'il vous manque certains "bagages" (culturels, historiques, politiques) il peut être difficile d'avoir toutes les clés de compréhension nécessaire pour savourer les subtilités et "enseignements" de la série, qui nous invite vraiment à voir plus loin à mon avis. Mais même sans cette approche vous passerez de très bons moments, pour ma part lors de ma 1ère vision de la série il y à plus de dix ans je n'avais logiquement pas la maturité ou l'esprit critique que j'ai aujourd'hui, j'avais pourtant déjà énormément apprécié. C'est pour ça qu'on peut la voir et la revoir des années plus tard, car tout en évoluant notre regard et notre réflexion s'ouvre à tout ce qu'elle peut offrir en sous-texte.
Il y à un peu d'humour aussi, c'est souvent très drôle par l'humour noir de certains flics par exemple, ou par les situations ironiques ou cocasses dans lesquelles certains personnages sont pris. Les jeunes de la rue, dealers ou pas, eux ne rigolent pas autant que la flicaille, d'ailleurs j'ai beaucoup apprécié la sagesse "simple" ou la philosophie pragmatique et lucide de certains de ces personnages qui évoluent tout au long de la série... Mention spéciale à Omar, le braqueur au grand coeur qui à un vrai code d'honneur, à D'Angelo qui trop empathique pour le "game" finit par se repentir devant ces horreurs, ou aux très jeunes Wallace et Randy broyés par la rue, ou encore à Bubbles le toxico qui s'en est sorti si difficilement, et pour finir à Bodie, l'humble petit soldat ou pion fidèle à son "corner" et à ses valeurs.
Malgré le ton généralement triste, pessimiste (réaliste) voir fataliste, ainsi que son rythme assez lent (surtout les 1ers épisodes de chaque saison, le temps que l'intrigue se mette en place) cette oeuvre qui à déjà bientôt 15ans est et restera incontournable. A VOIR, et à revoir, définitivement (je viens de me la revisionner une 4ème ou une 5ème fois : c'est toujours aussi bon, juste des surprises scénaristiques en moins). Je vous invite vraiment à la découvrir, rien que pour les relations humaines complexes qui y sont décrites, dans ce contexte si particulier qui touche toutes les grandes villes du monde, et qu'on à tendance à oublier ou ne pas connaitre...
*PS: il existe une mini-série "préquelle" appelée THE CORNER qui vaut également le détour, elle se concentre plus sur l'univers et la souffrance des toxicos, en se concentrant sur une famille et quelques personnages elle décrit tout le tissus social détricoté autour des Corners (les fameux coins de rue, les spot de vente des dealers ou les consommateurs accro affluent en masse).