Critique de la saison 1 uniquement, je n'ai pas (encore ?) vu la saison 2


Nous le savons tous, si The Handmaid’s tale a remporté autant d’Emmy Awards, ce n’est pas que pour sa qualité artistique mais évidemment surtout pour sa portée politique, et on ne m'ôtera pas de l'idée que cette série a raflé plusieurs Emmy à Westworld exactement de la même manière que Moonlight a volé l’Oscar du meilleur film à La La Land. Toutefois, de qualité artistique, The Handmaid’s tale n’en est pas dépourvue, fort heureusement, et si Westworld méritait d’être bien plus reconnue qu’elle ne l’a été par les Emmy Awards, la série de Bruce Miller n’a pourtant pas démérité toutes ses récompenses.
En effet, sur la forme, la série est très réussie, nous offrant une ambiance fascinante, grâce à la sobriété de sa mise en scène et à sa composition réfléchie de chaque plan. Des décors aux costumes en passant par la photographie froide et soignée (signée Colin Watkinson), tout concorde à donner à cette série une identité visuelle très intéressante. En outre, le casting est excellent, et parvient tant bien que mal à insuffler une vraie vie à des personnages pourtant très inégaux.


Car en effet, c’est là que The Handmaid’s tale commence à décevoir. Malgré la qualité du casting, les personnages sont pour la plupart extrêmement caricaturaux, victimes du manichéisme outrancier des créateurs de la série. De ce manichéisme, mes deux personnages préférés sont particulièrement révélateurs. L’on va me trouver sans doute très étrange, mais les deux personnages que je préfère sont sans conteste Mrs Waterford (incroyable Yvonne Strahovski) et Tante Lydia (Ann Dowd, bien plus fine qu’on n’aurait pu le craindre). Leurs personnages sont sans doute les plus profonds et les plus intéressants, dans le sens où ils auraient pu nuancer de manière intelligente le manichéisme qui sert de base à la série. En effet, vivant par et pour le système, elles s’en avèrent bien plus victimes que profiteuses (Mrs Waterford constamment rejetée des sphères décisionnelles, Tante Lydia dont on peut penser que l'attachement envers les servantes n'est pas toujours feint, par exemple dans la scène où


elle empêche les gardes de fusiller les servantes révoltées).


Les deux femmes montrent régulièrement qu’elles peuvent faire preuve d’une réelle empathie, se montrant parfois douces et bienveillantes, tempérant ainsi leur rigidité apparente. Malheureusement, la série n’en fait guère que des « méchantes » et exploite bien trop peu leur réel intérêt. Par exemple, lorsque Mrs Waterford punit June, elle est constamment montrée comme un monstre cruel, ce que confirmera la scène de l’épisode 10 où


June insulte sa maîtresse après que celle-ci la fasse chanter en lui montrant sa fille, et en lui disant que tant qu’elle accepte sa grossesse, sa fille ne risque rien.


On est donc censé en vouloir à Mrs Waterford de faire du mal à June, mais que fait-on du mal que June a elle-même causé durant toute la série à Mrs Waterford en rejetant constamment ses preuves d'amitié, et en devenant l’amante volontaire de son mari ?
Sur ce point, la série est malheureusement d’une naïveté atterrante. En effet, elle nous montre des personnages qui agissent contre la loi de leur pays sans jamais en mesurer les conséquences (c’est en cela qu’ils sont coupables, pas nécessairement pour avoir désobéi à une loi foncièrement injuste), et qui, après, ont le culot de s’étonner et de déplorer les malheurs qui leur tombent dessus, alors qu’ils en sont eux-mêmes seuls responsables ! Combien de fois n'ai-je pas eu envie de dire "Bien fait pour toi" aux personnages ?


Mais le manichéisme de The Handmaid’s tale ne se résume pas à ses personnages. De fait, la mise en place de son univers dystopique est entachée du début à la fin par cette outrance pénible. Ainsi, l’on ne cherchera presque jamais à comprendre les décisions qui ont poussé le nouveau gouvernement à mettre en place la dictature dans laquelle vivent les personnages. Si certaines scènes l’ébauchent vaguement, on ne rentre pas assez dans la mentalité des gens du système pour pouvoir comprendre pourquoi on en est arrivé là. On sait que les maladies sexuellement transmissibles et la pollution ont diminué le taux de naissance de manière considérable, mais c’est tout. Du jour au lendemain, on voit


les femmes perdre leur statut de citoyenne des Etats-Unis, on voit un nouveau gouvernement se mettre en place après un coup d’Etat sans savoir vraiment d’où il provient, on voit les commandants décider de la structuration d’une nouvelle société en strates définies dont personne ne discute le bien-fondé, on sait que les prêtres, les homosexuels et les médecins ont été bannis


sans qu’on nous explique pourquoi… Bref, on nous explique le comment, mais jamais le pourquoi, ce qui n’aurait certes pas été très grave, si cela ne donnait l’occasion à la série de condamner les responsables sans même chercher à en faire le procès. Car avant de condamner qui que ce soit – serait-ce Hitler lui-même –, il est de notre devoir d’examiner les motivations profondes de nos opposants, afin de tenter de comprendre ce qui les a poussé à agir ainsi. S’il y a condamnation, il doit y avoir procès, et c’est ce qu’oublie The Handmaid’s tale, sautant cette étape ô combien capitale !
Alors oui, on tente bien de mettre toute l’origine du système sur le compte du fanatisme, mais c’est tellement facile… Donald Trump (qui est évidemment une des cibles principales de la série) ne s’explique pas uniquement par le fanatisme protestant propre aux Américains. Ce serait une insulte à son intelligence qui, n’en déplaise à ses détracteurs, reste bien réelle malgré l’aspect fantasque qu’il se plaît à entretenir aux yeux des médias. De même, il est impossible de croire que les gouvernants de Gilead, issus de la secte des « Fils de Jacob » - qui paraissent tout de même beaucoup moins instables que M. Trump - soient tous fanatisés au point de prendre des décisions sans même réfléchir aux conséquences qu’elles engendrent. Et il ne suffit pas, pour faire la morale au président-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, de nous balancer le personnage d’une ambassadrice mexicaine (suivez mon regard…) qui, évidemment, vit dans un pays libre (suivez mon regard…) où le pouvoir est ouvert aux femmes (suivez mon regard…).


Autre point capital de cette série qui brasse tant de thématiques (mais toujours sur le même simplisme désappointant) qu’on en fera jamais le tour : son féminisme. Est-il besoin de manquer à ce point de subtilité pour pouvoir être féministe ? C’est en tous cas ce qu’on serait tenté de croire, les féministes ne nous ayant jamais habitué à une quelconque forme de finesse. Ici, si l’on en juge par la terrible naïveté de l’ensemble, on a bien affaire à une série qui l’est profondément. A force de vouloir valoriser la femme et d’en faire l’égal de l’homme, la plupart des féministes en viennent souvent à en faire (plus ou moins involontairement) la supérieure de l’homme. C’est exactement ce que fait The Handmaid’s tale, en ne mettant en scène que des hommes bornés, effacés ou mièvres, face auxquels les femmes passent presque pour les seuls être doués d’un cerveau. Que l’on pense à Luke, un type qui aurait pu être sympathique s’il n’était pas rendu aussi transparent par le scénario (même dans l’épisode qui lui est entièrement consacré, il n’a aucun relief !), à Nick, si discret et mystérieux que l’on ne sait jamais ce qu’on doit en penser, et surtout au Commandant Waterford, aussi gentil que benêt, pour se rendre compte à quel point la série nous prend pour des demeurés… En face, évidemment, il y a deux types de femmes : les soumises au système, qui sont toutes méchantes, et les révoltées, qui sont toutes gentilles. Vous trouvez que ça manque de nuances ? Bienvenue dans The Handmaid’s tale !


Pourtant, malgré tous ces reproches et malgré son ton désespérément politiquement correct (synonyme poli de « lèche-cul »), on comprend que la série puisse faire illusion auprès de son public. Car il y a quand même quelque chose qui fonctionne, dans The Handmaid’s tale. En effet, les réalisateurs filment la souffrance humaine avec une délicatesse qui touche souvent juste, et m’a régulièrement fait fondre le cœur, parfois presque malgré moi, d'ailleurs. Le travail sur la forme n’y est bien sûr pas étranger, car c’est lorsque la série se passe de mots et se repose sur ses très belles images qu’elle est la plus réussie. Il y a en effet quelque chose de grand lorsque, délaissant un sous-texte politique lourdingue, la série de Bruce Miller efface les dialogues pour faire passer de nombreux sentiments par un simple jeu de regard, ou bien un plan sur une main tendue, sur un œil crevé, ou encore sur un enfant perdu dans la tourmente pour que l’on comprenne ce qui fait que la série marche si bien. C'est souvent pesant, mais ça parle. Oui, The Handmaid’s tale fait appel à notre humanité la plus profonde, elle parle à l’âme de chacun. Son problème, c’est qu’en s’adressant directement à notre âme, elle oublie de parler à notre intelligence.
Finalement, c’est bien par son problème majeur que l’on peut résumer The Handmaid’s tale : une série pleine de délicatesse, mais dénuée de toute subtilité. Un peu comme si James Ivory adaptait un scénario de Luc Besson… Et cet hybride qu’on imagine non sans horreur, The Handmaid’s tale en donne malheureusement une idée assez fidèle.

Tonto
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le 29 oct. 2017

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