Nous nous plaignons, et le plus souvent à juste titre, de nos politiciens et de nos médias, mais nous avons sans doute beaucoup de chance de ne pas vivre au Japon : voici des décennies que le pays est secoué par des vagues incessantes de scandales politiques, sans que le remplacement des hommes au pouvoir ne semble y changer grand-chose. Ajoutez à cela la gestion désastreuse des conséquences de Fukushima, l’organisation des JO, les tensions avec le voisin chinois, et les Japonais ne sont pas vraiment pas vernis. Pourtant, le cinéma japonais, il est vrai en toute petite forme depuis les années 60, ne parle quasiment pas de cette réalité sociale et politique, préférant largement les récits introspectifs et les débâcles intimes.
On ne peut donc que louer l’intérêt de Michihito Fuji (le principal scénariste et également réalisateur de la série TV "The Journalist") et d’Isoko Mochizuki (l’écrivain ici adapté) pour ces sujets cruciaux que sont les malversations financières des élus et la possibilité de « résistance » à l’omerta par une presse réellement indépendante. Il faut d’ailleurs préciser que, en 2019, Fuji et Mochizuki ont déjà réalisé ensemble une première version de l’histoire, un film ayant le même titre international, même s’il semble que le sujet soit différent !
La série va suivre la trajectoire de trois personnages, impactée par leur implication dans un scandale d’état que le gouvernement cherche par tous les moyens à étouffer, et qui va provoquer le suicide de l’un des fonctionnaires, accablé par la culpabilité d’avoir « trahi » sa mission de serviteur de l’état en acceptant de modifier des documents officiels. Anna est la journaliste du titre, « franc-tireuse » qui ne se laisse pas impressionner, et qui va tout faire pour que la vérité soit publiée, Murakami est un « homme du gouvernement », impliqué dans l’affaire, qui va être muté aux renseignements généraux et va être horrifié par ce qu’on lui demande de faire afin de manœuvrer l’opinion publique, tandis que Ryo est un jeune étudiant indifférent aux mondes de la politique et des médias, dont la conscience va peu à peu s’éveiller.
Ce qui impressionne dans "The Journalist", c’est l’intelligence de la mise en scène, qui déploie une élégance formelle inhabituelle dans le format sériel (Fuji est clairement un vrai cinéaste), ainsi que la qualité et l’intensité de l’attention portée aux personnages, qui nous offre de nombreuses scènes émotionnellement fortes (on n’est parfois pas si loin du mélodrame, en fait !). Par contre, et ce n’est pas un petit problème vis-à-vis de nos attentes – naturelles – vis-à-vis d’une « histoire d’enquête », la plupart des épisodes évitent paradoxalement de montrer le travail des journalistes, des enquêteurs de la police, comme le détail de manœuvres des politiciens corrompus ! Ce sentiment croissant de « vide » est assez perturbant, même s’il ne gâche pas le plaisir fin que l’on prend en observant l’évolution des personnages, il est vrai très bien décrite par un scénario qui ne craint ni l’ambiguïté, ni la complexité.
Autre point très satisfaisant de "The Journalist", la prise en compte dans la dernière partie de l’apparition du Covid19, et de son impact sur la société japonaise, en particulier sur la disparition d’un avenir professionnel à court-terme des jeunes : il est appréciable qu’une série prenne soin, pour une fois, de s’inscrire dans notre réalité, quitte à s’écarter pendant quelques scènes de son sujet principal !
Bref, "the Journalist" est une sorte d’exception dans le panorama de la série et du cinéma nippons, un drame et un thriller politique concerné par ses personnages et transcrivant la réalité de la situation japonaise : en dépit d’un indéniable manque de consistance de l’histoire, qui frustrera régulièrement le téléspectateur, cette série, qui ne sacrifie jamais aux grosses ficelles du genre, reste un must.
[Critique écrite en 2022]
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