Hail to the grief
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Le concept de cette série produite par HBO et écrite par le créateur de Lost est simple : le 14 octobre 2013, 2% de la population mondiale disparait, sans aucune raison apparente, laissant les 98% restants dans le désarroi et l’incompréhension. Il s’ensuit alors des recherches, des tentatives d’explication plus ou moins scientifiques d’Hommes confrontés à l’inexplicable mais rien n’y fait et, plutôt que de trouver des réponses rationnelles, ce sont bien plutôt des sectes qui se développent et qui emportent l’adhésion d’une partie de la population de plus en plus importante.
LA PERTE DES HOMMES
L’histoire se concentre sur une famille (pour la saison 1), puis deux familles (pour la saison 2), elle explore les déséquilibres qu’entraine une telle disparition sur les relations interpersonnelles dans une famille et le rapport de chacun à la collectivité. Poignante, elle avance par ses personnages, par leur rapport à la mort, au manque, et à une réalité qui leur échappe. En utilisant une telle situation de départ, extrême et exceptionnelle, cette série parle de nous, de notre façon de gérer le deuil, qu’il soit personnel ou collectif (on ne peut s’empêcher de tenter une comparaison avec les attentats de novembre au regard des réactions des personnages au drame, de cette impression de manque collectif, même pour ceux qui ne connaissent pas de disparus). La façon de le gérer se traduit par une large palette de comportements des personnages, qui cherchent tous à ressentir à nouveau ce qui faisait leur vie d’avant, ce qui les rendait vivant et qui a disparu avec la disparition. On voit ainsi Nora Durst (qui a perdu toute sa famille dans la disparition, interprétée par Carry Coon) se faire tirer dessus tout en portant un gilet par balles par des prostituées payées pour ça, ou encore Kevin Garvey (le shérif de la ville de la saison 1, interprété par Justin Theroux) s’étouffer avec un sac plastique presque jusqu’à l’étouffement. Le cas de Meg (Liv Tyler) est peut-être le plus intéressant. Incapable de retrouver l’amour dans son couple, elle choisit de rejoindre la secte des Guilty Remnant et ainsi trouver la froideur qui lui correspond désormais, comme en témoigne le rapport sexuel qu’elle a avec Tom Garvey (le fils du shérif, interprété par Chris Zylka) dans le camion où celui-ci est menotté, donc incapable de se défendre et de la rejeter : le sexe devient un acte froid, presque une torture, complètement déshumanisé pour cette femme qui est morte désormais, à l’image de sa secte.
A QUOI BON VIVRE, DESORMAIS
Et cette secte dérange par son refus de la vie, par son enfouissement dans le deuil, dans la douleur. « Remember » est son slogan, elle prône la nécessité de rester coi face à l’indicible, et de ne plus avancer, là où les autres membres de la société cherchent à sortir du deuil pour avancer et dont les réactions deviennent donc violentes (allant, au début de la saison 3, jusqu’à l’extrême, mais no spoiler). De cette façon, les deux tendances du deuil sont explorées et mises en scènes à l’échelle d’une société, chacune dans leurs extrémités : entretenir la douleur jusqu’à ne plus rien faire ou essayer de vivre à nouveau jusqu’à oublier artificiellement la perte.
DE LA VIE
Si le scénario peut paraître poussif dans un premier temps, et surtout dans la saison 2, c’est qu’il suit principalement les personnages. Ici la série prend son temps, elle vise chaque personnage, quitte à revoir plusieurs fois les mêmes événements sous des points de vue différents dans la saison 2. The Leftovers parle de la vie quotidienne, du rapport des Hommes à la vie, et propose une mise en scène de l’au-delà, dans laquelle Kevin Garvey cherche des réponses (comme tous ces gens qui cherchent des prophètes, qui se déplacent aux portes de la seule ville du pays où il n’y a eu aucun disparu pour trouver des réponses, plus ou moins mystiques et religieuses) et revient, dans un rapport mystique à son héritage et à la vie, à sa relation avec son père, à ses différents rôles dans la société : père de famille, mari, policier et une nouvelle, tueur à gages chargé de tuer Patti Levin (Ann Dowd, magistrale et trop peu connue), la cheffe des Guilty Remnant (lui qui, chargé de l’ordre public, entretient des relations ambigües avec les Guilty Remnant, dont sa femme faisait partie, et qui se doit de les protéger face à la colère des autres, tout en ne supportant pas leur vision de la société).
The Leftovers est donc ce type de récit qui, partant de la vie quotidienne, de sa futilité et presque sans y paraitre, touche à l’incapacité de vivre, au deuil, à l’impossible accès au bonheur, à la manière d’Oncle Vania ou d’autres pièces de Tchekov, ou encore de Stranger than Paradise. Tout dans la série, de la lumière presque saturée à la musique, magnifique, de Max Richter (le thème principal, The Departure, qui revient de nombreuses fois) tend vers cette dissonance du quotidien, vers cette boucle tragique du deuil jamais vraiment terminé.
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Créée
le 22 oct. 2017
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