The Leftovers
7.8
The Leftovers

Série HBO (2014)

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The Leftovers, odyssée onirique.

The Leftovers, littéralement “les restes”, c’est une série américaine de 3 saisons pour un total de 28 épisodes, diffusés entre 2014 et 2017 sur la chaîne HBO.

Adaptée (pour la première saison) du roman Les Disparus de Mapleton de Tom Perrotta, la série est co-créée par ce dernier accompagné de Damon Lindelof, scénariste bien connu pour sa célèbre série* Lost, les disparus*, de laquelle on retrouve dans The Leftovers l’atmosphère énigmatique qui a fait son succès.

Première scène de l’épisode pilote : une mère excédée se débat entre son linge et son téléphone à la laverie publique. Derrière, son bébé ne cesse de pleurer. De retour dans sa voiture, toujours au téléphone, les pleurs qui constituaient le fond sonore cessent d’un coup. La mère se retourne : son bébé a disparu de son siège auto. Et en ce 14 octobre, c’est ce qui arrive à exactement 2% de la population mondiale : ils se sont volatilisés.

La suite de l’histoire se déroule dans le petit bled paumé de Mapleton, état de New-York, puis à Jarden, alias Miracle au Texas et enfin dans la cambrousse australienne. On y suit principalement le chef de la police Kevin Garvey, ainsi que les habitants, réunis ou fractionnés par un unique but : comprendre comment continuer à vivre après cet événement.

Une secte de fumeurs ayant fait vœu de silence, un prêtre endetté lancé dans une quête de dénonciation de disparus pécheurs, une femme dont le mari et les enfants se sont tous envolés le 14 octobre, c’est un panel de personnages aussi étranges qu’éclectiques que nous offre The Leftovers. Outre les histoires profondément humaines et touchantes que nous offre la série, j’ai relevé quelques éléments exploités qui me paraissent intéressants et qui, pour moi, font de cette série une œuvre véritable.

En premier lieu se trouve l’apparition du fantastique dans le petit bled paumé. Motif qui renvoie irrémédiablement au maître de l’horreur Stephen King, et si vous aimez son univers : je vous conseille fortement cette série. On a donc le fantastique, le surnaturel, faisant son apparition dans un monde réel, dans le monde le plus terre à terre auquel on puisse penser. Un petit bled américain où rien ne se passe, où la vie est morne... mais on ne peut plus normale. Un événement impensable, inimaginable se produit dans le monde entier, mais ici, on n’y assiste pas à New-York ou dans une autre mégalopole grouillante de vie et de bruit, mais bien à Mapleton.

La série fait également l’illustration concrète d’un changement de paradigme brutal : la science ne répond plus à tout. Les personnages doivent réévaluer leur monde, revoir leurs croyances, redéfinir l’ordre des choses. On va voir dans cette série l’incarnation d’un dialogue, du combat entre la science et la spiritualité. Cet élément précis renvoie d’ailleurs à la série Lost, dans laquelle un des motifs principaux est la dualité entre Jack Shepherd et John Lock, respectivement médecin, figure de rationalité et de science et retraité aux allures de vieux sage, qui cherche des réponses là où l’on refuse normalement d’aller. Dans The Leftovers, la science, qui était devenue le pilier de la civilisation contemporaine, se retrouve mise à l’épreuve et n’est plus à la hauteur. Les gens vont alors choisir des chemins différents : se réfugier dans la spiritualité, la religion, glisser dans la dérive sectaire, ou bien chercher, parfois au prix de leur sanité, à rationaliser les événements.

Le thème du deuil est majeur. Face à cette perte aussi soudaine qu’inexpliquée, comment guérir ?

Sont traités différents types de deuil : celui du divorce, celui de l’abandon parental, celui d’une vie après l’apparition d’un handicap, physique ou mental, celui d’un proche disparu sans aucune explication, mais surtout le deuil de la vie telle qu’on la connaissait, familière, sûre et stable.

On trouve aussi dans The Leftovers une grosse exploitation des thèmes bibliques, en particulier celui du miracle. Cette réactualisation contemporaine du mythe y est brillamment exécutée à travers des événements incongrus qui renvoient à un troisième motif qui m’a beaucoup plu dans l'œuvre : l’utilisation de l’esthétique du rêve, du vocabulaire de l’onirique. Le scénario, ainsi que la réalisation, semblent parfois suivre les règles, ou plutôt les non-règles du rêve, tout en se tenant toujours parfaitement. On est transportés, ballotés comme dans un songe : des choses n’ont pas de sens mais on leur en trouve un. L’impensable se produit mais on l’accepte. On ne sait parfois plus si ce qu’on voit à l’écran est la réalité ou le délire du personnage. Est effectué un brouillage des frontières entre le rêve et le réel, brouillage de la linéarité du temps. La BO de la série est absolument magnifique et met vraiment en valeur cette impression de nager en plein mirage.

The Leftovers est également une série polyphonique : polyphonie des personnages, des points de vue et des lieux. Les personnages sont souvent présentés comme des allégories : le prêtre, le policier, la veuve, le gourou. Mais leurs créateurs leur offrent un développement savamment travaillé, qui les rend on ne peut plus humains. Presque à la manière d’une série anthologique, *The Leftovers *nous offre presque trois séries en une seule. Les trois saisons se déroulent chacune dans un lieu différent, des lieux porteurs de sens et eux-mêmes acteurs des événements. Ces changements réguliers d’environnement apportent un renouveau à chaque saison qui pourtant suivent bien le fil d’une seule et même histoire, dans laquelle se mêlent de nombreux destins.

Pour terminer, j’aimerais faire une mention spéciale pour les deux personnages principaux :

Nora Durst, sorte d’anomalie du 14 octobre, puisqu'elle n’a pas perdu un mais trois proches : son mari et ses enfants.

Magnifiquement interprétée par Carrie Coon, Nora Durst est l’incarnation de la douleur et de la complexité du deuil dans The Leftovers. Mais ce n’est pas le cliché simplifié de la veuve éplorée que nous offre le personnage, celui d’une femme qui n'enfouit pas sa colère, déterminée à trouver des réponses à ses questions. Kevin Garvey, petit flic de province dévoué qui va se retrouver happé dans une histoire délirante au sens propre, est brillamment interprété par Justin Theroux. On verra cet homme, shérif, figure archétypale de force et de masculinité, se mettre à nu, au sens propre pour notre plus grand plaisir, et au sens figuré pour un plaisir un peu plus spirituel, et nous dévoiler une intériorité, une sensibilité absolument bouleversantes. The Leftovers est par-dessus tout une odyssée, le parcours d’un homme perdu, devant faire face à la folie du monde qui l’entoure et à celle, générationnelle, qui coule dans ses veines. La chute lente mais sûre dans l'abîme de la santé mentale défaillante est illustrée à la perfection par l’acteur canadien.

C. Cormier-Balasakis

Quetzalcoatll
10
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Créée

le 22 févr. 2023

Critique lue 32 fois

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