Dans l’univers profus de la série, le mini format semble le compromis idéal pour conjuguer ambition et ligne éditoriale : huit épisodes, une dizaine d’heure, la possibilité de prendre son temps tout en ayant la conscience nette du cap à tenir, sans s’égarer dans des dilutions opportunistes de suites à rallonge. C’est précisément ce qui fait la qualité première de The Night of, qui conjugue le talent de plumes de prestige (sur Millénium de Fincher et The Irishman de Scorsese pour Zaillan, The Wire pour Price) sur un canevas volontairement rudimentaire : un meurtre, un accusé, une enquête, une procédure.
Les promesses du premier épisode permettent d’établir avec malice toute la captation nécessaire du spectateur, à travers cette béance d’un blackout au terme duquel le protagoniste se retrouve face à un cadavre. La tension, très bien menée, de sa laborieuse fuite et de la manière dont chaque détail le ramène sur le lieu du crime en compagnie de la police met en place une atmosphère suffocante, à la musique rare, qui met en place avec méthode un piège qu’on sait construit pour durer.
Mais c’est dans toute sa suite que la série prend réellement son envol : la lenteur volontaire de l’enquête laisse le temps aux personnages de prendre chair (les parents, le flic à l’orée de la retraite, les différents avocats), et aux enjeux sociétaux d’émerger avec pertinence. Le monde contemporain apparait ici comme saturé de codes et de règles qui profiteront toujours à ceux qui ont su profiter de leurs privilèges ou basculer de l’autre côté de la loi. Le commerce violent des avocats, la société de surveillance, le racisme endémique, la froideur inhumaine de l’appareil judiciaire constellent ainsi un portrait aussi froid qu’acerbe d’un monde qui, se sachant malade, tourne tout de même à plein régime.
Les qualités de l’écriture se voient honorées par un savant sens de l’équilibre, notamment grâce aux performances des comédiens (Riz Ahmed, dont le regard se durcit progressivement, et surtout John Turturro, absolument magistral dans sa médiocrité et son humanité), à l’incursion de la comédie (tout ce motif de l’eczéma de l’avocat, fil rouge excellemment exploité) et une dimension documentaire assumée sur le labyrinthe de l’instruction.
Point d’orgue de cette réussite, l’exigence visuelle de la série impressionne : Steven Zaillan qui réalise la quasi-totalité des épisodes fait montre d’un réel talent dans son choix des cadres, l’attention qu’il porte aux architectures, qu’elles soient carcérales ou judiciaires, pour découper un univers silencieusement hostile. Les nombreuses balances de point jouent ainsi régulièrement d’une profondeur qui insiste sur les distances infranchissables, alliées à la vision d’un monde décati (la rouille, les flaques, la pierre froide) qu’une superbe photo épaissit dans son opacité.
La somme de ces qualités devrait aboutir au chef-d’œuvre. Malheureusement, certains impératifs de la série refont surface sur son dernier tiers. On se rappelle ainsi qu’il s’agit de mener une enquête et de revenir au motif premier -ce qui, bien entendu, est tout à l’honneur des scénaristes. Mais le trait s’épaissit, de la transformation bien rapide du protagoniste en caïd qui se barde de tatouages à la romance improbable avec l’avocate, en passant une série de suspects mise au jour par une enquête que la police n’a jamais pensé à mener.
La série n’en perd pas pour autant tout son crédit, notamment grâce à une fin de procès où l’écriture au cordeau des interrogatoires ou plaidoiries prouve un véritable talent, tout comme un dénouement en demi-teinte qui refuse de céder aux sirènes du romanesque. L’injonction à la satisfaction supposée du spectateur a certes conduit à des concessions un peu regrettables, mais qui n’occultent pas la somme de talents à l’œuvre dans cette œuvre crépusculaire.