En ces temps troublés par un monde qui ne cesse de se polariser, où avoir un avis et le hurler à la face du monde est bien plus important que de l'avoir étayé, et où rien ne compte plus que d'appartenir viscéralement et aveuglément à un camp (politique, religieux, sociétal…), les meilleures séries HBO continuent à garder un cap toujours plus salutaire, dans le sillage d'un lumineux The Wire, resté dans toutes les mémoires.
Ce cap, c'est celui du doute, de l'entre-deux. Du gris. Du trouble. De la chose compliquée, où les explications sont entrelacées, les faits diffus, les solutions en demi-teintes.
The Wire, Treme, Show me a Héro ou cette fois The Night Of sont de saisissantes illustrations du réel dans lesquelles il n'existe pas de camps marqués, de héros immaculés ou de salauds définitifs. Chaque personnage est épaissi par le nœud de ses contradictions, de ses faiblesses et des mensonges les plus fatals: ceux que l'on se fait à soi-même.
Un monde si réaliste que l'apparence de l'innocence ne peut y être préservée que sur la base de malentendus, de non-dits et d'équivoques, pendant que ses racines sont à jamais empoisonnées. Les culpabilités, elles, se cachent sous les masques des vertus les plus ambivalentes, ou ceux de banals petits défauts quotidiens.
Bref, un truc à faire fuir en hurlant toute femme ou homme politique briguant un mandat sur la base de faits établis et de solutions simples et annoncées comme expéditives.
Il prend cher, Khan
Alors, bien sur, on reste quand même à petite distance de ce qu'avait proposé David Simon jusque là. On pourra même regretter quelques détails qui appesantissent un peu le propos. Un regard sur la prison qui respecte d'un peu trop près les codes du genre. Une insistance un peu trop forte sur les pieds et les chats de John Turturro. Une passivité peut-être trop grande chez un flic décrit comme excellent, pourtant alerté par un flair qui déclenche en lui la sirène insidieuse du doute, limier en pré-retraite qui aurait sans doute pu aller plus loin dans son investigation inaugurale.
Enfin et surtout, on reste presque trop collé à ce qui fait suspens dans le scénario, l'écriture des personnages et la description du système judiciaire américain contemporain suffisait pourtant sans doute largement à remplir ces 8 épisodes, sans un recours au whodunit.
Mais toutes ces remarques sont à mettre sur le compte d'une sévérité à la hauteur des qualités déployées par les huit heures du projet, lui-même inspiré par une série de la BBC.
En présence d'un programme qui déploie de tels trésors de subtilités et de justesses dans les portraits, et pour en revenir aux secousses de notre époque, on peut au moins parier sur le fait qu'une majorité de ceux qui auront pris plaisir à s'adonner à ses charmes ne pourront décemment pas choisir des solutions simples pour résoudre les problèmes de ce monde. C'est déjà ça.