Juste après avoir quitté Jason Bateman dans la première saison de "Ozark", nous le retrouvons ici en coupable offert à la vindicte publique, et, avouons-le, toujours aussi peu expressif. Est-ce sa manière intériorisée de jouer ou bien cette impassibilité est-elle inscrite dans les trames narratives de ces deux créations ? Mystère. Toujours est-il qu'au milieu des pires épreuves, l'acteur affiche un visage quasiment imperturbable. Etrange ! Ce n'est d'ailleurs pas le seul point commun entre ces deux séries, car nous avons droit ici aussi à une atmosphère particulièrement sombre, qui se traduit jusque dans le visuel, avec une photographie grisâtre, aux couleurs désaturées, et un décor lugubre qui semble ne jamais être visité par le soleil. Il faut dire que les événements sont plus que sinistres. Assassinats d'enfants, suicides, dépressions, alcoolisme, ce n'est pas la joie dans les chaumières !
De plus, dès le second épisode, le scénario nous assène un uppercut aussi violent qu'inattendu, avec la disparition soudaine d'un personnage dont on attendait beaucoup. Et ce n'est que le commencement d'une cascade de rebondissements insolites et d'une descente aux enfers d'où est exclue la plus petite trace de lumière. Mais il est un point sur lequel "The outsider" diffère fondamentalement de "Ozark", c'est celui de la conception des personnages.
Dans la série de Bill Dubuque, ceux-ci sont catalogués de manière radicale et presque figée. Entre le premier épisode et le dixième, Martin demeure un magouilleur opportuniste, les Snell demeurent des assassins odieux, Petty demeure un obsédé inquiétant, etc. Ici, c'est tout le contraire. Chaque intervenant ou presque, aussi bien par le pouvoir maléfique qui rôde que par son propre vécu traumatisant, apparaît comme un réceptacle ouvert à tous les possibles. Cette malléabilité des individualités, couplée à une base narrative d'une intelligence confondante qui sait générer une oppression constante, donne naissance à une oeuvre d'une richesse insondable.
L'une des qualités majeures qui permet au mystère de se développer de manière aussi vraisemblable que convaincante, réside dans le fait que rien n'est jamais asséné. Le récit suit les circonvolutions des événements en sachant distiller au compte goutte un fantastique discret radicalement maîtrisé. Et, cerise sur le gâteau, nombre de personnalités se révèlent profondément touchantes. Que ce soit Ralph, le rationaliste rigide bourré de doutes et de culpabilité, son épouse Jeannie, l'ambigu Claude Bolton, la malheureuse Glory, veuve honnie par la population, Jack se débattant dans une souffrance intérieure insurmontable, ou encore l'exceptionnelle Holly Gibney, toutes et tous habitent cette tragédie sombrissime avec une présence et une humanité qui donnent d'emblée au spectateur l'envie irrépressible de les suivre jusqu'au bout de cette enquête hors normes. Le paranormal, l'inconnu, les légendes fantastiques se mêlent au quotidien prosaïque de façon subtile et tout à fait convaincante.
Une réussite majeure.