Cette question est probablement l'une des introductions les plus fascinantes pour appréhender l'émergence des états totalitaires, et des dictatures militaires. Comment sentir, percevoir le franchissement de la ligne rouge qui fait basculer un pays tout entier dans le non-droit, dans la haine, dans l'anarchie ? C'est à mon sens la question principale que soulève le roman de Philip Roth, et cette admirable adaptation, qui trouve une résonance particulière en ces temps troublés de confinement généralisé.
Toutefois, si cette trame de fond justifie à elle seule le scénario, d'autres strates narratives donnent un formidable intérêt historique à cette série. La question de l'assimilation des juifs aux Etats-Unis n'est pas sans rappeler l'incessant louvoiement connu par les populations juives en Europe, et particulièrement en France et en Allemagne aux XIXème et XXème s. L'historiographie juive européenne regorge d'ailleurs d'oppositions entre juifs traditionnels et juifs "réformés", quant aux mesures d'assimilations prises par les Etats, en France juste après la Révolution. Jusqu'à quel point les populations juives doivent-elles aller dans l'assimilation ?
La série interroge sensiblement la question de la nationalité, qu'est-ce qu'appartenir à un Etat libéral dont la constitution repose sur une égalité entre ses citoyens, lorsque l'on est juif ? Cette thématique d'une nation dans la nation est ici admirablement traitée à mon sens, à savoir qu'elle questionne la notion même de citoyenneté et d'engagement envers "le drapeau".
Cette question du face à face entre les compatriotes de fait, mais non encore des concitoyens de droits s'illustre par la célèbre maxime du Comte de Clermont-Tonnerre, lors d'un discours prononcé le 23 décembre 1789 : "Il faut tout accorder aux juifs en tant qu'individus, mais rien en tant que nation".