The Walking Dead
6.6
The Walking Dead

Série AMC (2010)

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En 1968, le regretté George A. Romero s’inspirait du roman Je suis une légende de Richard Matheson pour proposer une modernisation du film de monstres et définir du même coup un contexte apocalyptique inédit à l’écran. Dans son cultissime La Nuit des mort-vivants, il s’appropriait avec inventivité l’image d’Epinal du mort-vivant issue du moyen-âge et s’inspirait notamment du tableau Le Triomphe de la mort de Bruegel l’Ancien en en transposant le contexte apocalyptique dans l’Amérique ségrégationniste des 60’s. Dans son film, le mort-vivant n’avait plus rien du zombie vaudou et drogué, se pliant aux ordres d’un sorcier maléfique (comme dans White Zombie), mais se révélait être un véritable défunt ressuscité, revenu au monde sans la moindre identité, et dont le corps en décomposition progressive se voyait guidé par un simple réflexe de survie : se nourrir de la chair des vivants. Par cette réappropriation révolutionnaire, Romero critiquait en filigrane la société américaine d’alors et sa politique ségrégationniste mais imposait surtout un nouveau modèle du cinéma d’horreur, genre jusque-là cantonné aux adaptations des grandes figures horrifiques classiques (Dracula, Frankenstein, etc…). S’il avait su à quel point l’héritage de son film serait énorme, Romero en aurait certainement protégé les droits et l’originalité de son intrigue et n’aurait pas vu son film copié et recopié au fil des décennies dans d’innombrables variations du mythe zombiesque. Le genre du film de zombie étant un temps, durant les années 90, tombé en désuétude, il fallut attendre l’aube des années 2000 pour assister à sa plus remarquable mise à jour moderne, dans le formidable 28 jours plus tard de Danny Boyle. Un trip horrifique teigneux et purement britannique qui sonna le coup d’envoi d’une multitude d’autres modernisations, lesquelles réinventèrent plus ou moins le genre du film de zombies (L’Armée des morts, Shaun of the Dead, Rec, Zombieland, Berlin Undead) et permirent aussi à Romero de revenir aux affaires (Land of the Dead, Diary of the Dead, Survival of the Dead) avant de tirer sa révérence. Ce n’était qu’une question de temps pour que le genre ne contamine d’autres médiums que le grand écran.


Au début des années 2000, le scénariste de comics Robert Kirkman eut l’idée de proposer sa version de l’invasion zombie en se concentrant surtout sur les enjeux humains et en développant pour le coup tout une galerie de personnages survivalistes plus ou moins originaux. Partant du même postulat que 28 jours plus tard (un homme sort d’un long coma pour découvrir un monde ravagé par l’épidémie zombie) et s’inspirant de l’intrigue du roman Le Fléau de Stephen King, The Walking Dead s’intéresse aux aventures du dénommé Rick Grimes et à la destinée des personnages qu’il va rencontrer dans un monde où seule la loi du plus fort et du plus rusé prévaut. Parue dès 2003 chez Image Comics, la bande-dessinée rencontre rapidement un grand succès et tape dans l’oeil de la productrice Gale Ann Hurd qui y entrevoit un potentiel télévisuel énorme. Confié au cinéaste Frank Darabont, ancien scénariste de films d’horreur (Freddy 3 : Les Griffes du cauchemar, Le Blob) et grand spécialiste de Stephen King à l’écran (Les Evadés, La Ligne verte, The Mist), la série The Walking Dead voit alors le jour en 2010 et se fait vite remarquer pour sa tonalité noire et impitoyable. Alors qu’il finit de développer la première saison et pose déjà les bases des saisons suivantes, Darabont se voit pourtant remercié par les producteurs du show sur le motif de divergences artistiques. Le créateur du comic original Robert Kirkman occupera par la suite une place plus importante dans le développement du show tandis que les spécialistes en effets spéciaux horrifiques Alex Kurtzman et Greg Nicotero (les K et N du légendaire studio KNB) s’occuperont quant à eux d’écrire et de superviser la réalisation des épisodes, bien aidés par les talents de maquilleur de Kevin Yagher (le papa du cryptkeeper dans Les Contes de la crypte). Partant doucement sur un relatif succès durant ses deux premières saisons, la série cartonne dès la diffusion américaine de sa troisième saison (voyant l’arrivée du Gouverneur). Par la suite, la série bénéficiera d’une popularité telle qu’elle s’imposera comme l’autre série-phare des années 2010, avec Game of Thrones, jusqu’à ce que son succès décline doucement, dès sa saison 7 avec la mort controversée de Glenn et l’apparition d’un nouvel antagoniste d’anthologie, Negan. Ce sera surtout la construction routinière de chacune de ses saison dès la seconde (les saisons étant souvent élaborées sur une même structure) et le recyclage de ses sacrifices chocs, qui finira par lasser le public et expliquera en partie le désintérêt progressif de la série. Ce qui n’empêchera pas les showrunners de prolonger ad aeternam la série, celle-ci ayant longtemps eu assez de succès pour justifier l’adaptation des nombreux arcs du comic original.


Il faut dire que The Walking Dead est une série dont le contexte et le foisonnement de protagonistes autorisent les scénaristes à développer quantité d’intrigues et de sous-intrigues. Si l’on se base sur ce que Robert Kirkman a raconté dans les comics, la série a encore tout un arc (le Commonwealth) à adapter et pourrait encore créer des enjeux inédits. Car ça fait belle lurette que la série ne respecte plus le déroulement de l’intrigue dans les comics, certains personnages ont été inventés pour les besoins du show (le plus évident est Daryl), d’autres ont été sacrifiés alors qu’ils sont encore en vie à la fin des comics, et quelques mises à mort ont été changées (Denise étant par exemple tuée de la même façon qu’Abraham dans les comics alors que ce dernier est tué plus tôt dans la série pour créer la surprise après le cliffhanger de la fin de saison 6). En sa qualité d’adaptation, The Walking Dead déroule sa propre chronologie. Si les deux premières saisons pâtissent d’une exposition assez classique et de longs tunnels de dialogues, c’est surtout l’ambivalence du conflit moral opposant Rick à son ami Shane qui en fait tout l’intérêt. Si on a tout le temps pour s’attacher à des personnages et les voir déjà disparaitre, la série ne décolle vraiment qu’à partir de l’intrigue de sa troisième saison et l’entrée en scène du premier grand méchant de la série, le Gouverneur, emmenant avec lui une diversité d’enjeux et de conflits plus vastes et passionnants (la question des communautés et de leur formation autour d’une figure forte mais souvent despotique). Une tension qui montera crescendo jusqu’à la fin de l’antagonisme avec le Gouverneur et cédera la place à l’éparpillement et l’errance des personnages jusqu’à leur réunion à Alexandria, période durant laquelle Rick et ses alliés s’opposeront dans leurs convictions à toutes sortes d’adversaires. Les « héros » de la série ne seront pourtant en aucun cas irréprochables : leur conception de la survie passant par toutes les phases d’évolution psychologique, de la défiance à la confiance longuement acquise, en passant par le rejet de l’inconnu, le sacrifice nécessaire, la vengeance et la justice sauvage. Rick traine toute une communauté de survivants derrière lui et ceux-ci, même s’ils sont loin d’être les plus cruels dans un monde livré à la barbarie, n’en sont pas moins prêts à se défendre de la manière la plus impitoyable et brutale qui soit pour garantir la survie de leur groupe ou même de leur seule personne.


On touche alors à la thématique principale de la série, celle qui lie chacune des saisons et interroge bon nombre de leurs personnages : la nécessité du meurtre pour garantir la protection de ses proches… ou comment plusieurs des protagonistes s’accordent le droit de tuer ou rechignent moralement à le faire. The Walking Dead nous montre un monde où la loi du plus fort prévaut et où la moralité n’a presque plus court. Face à la menace représentée par l’autre et sa dangerosité potentielle, Rick et ses amis sont souvent obligés de tuer. Un conflit moral qui débute par l’antagonisme opposant Rick à son ami Shane et qui se poursuivra par l’évolution psychologique de Rick qui passera de garant de l’ordre (il traine d’ailleurs une véritable dégaine de shérif) en véritable protecteur et justicier, souvent amené à se salir les mains. Mais le thème de la violence nécessaire ne reste pas cantonné à Rick, il sera différemment abordé au travers de plusieurs autres personnages (Carol, Michonne, Morgan, Daryl) qui supporteront plus ou moins le poids de la culpabilité. Les rares personnages à rechigner au passage à l’acte (Glenn, Dale, Jésus, Carl) apporteront une source d’espoir à la série, espoir qui s’effondrera souvent dès le trépas (souvent violent) desdits personnages. Il ne fait pas bon d’être trop bon dans l’univers de The Walking Dead car la bonté, la magnanimité et la compassion, se voient souvent cruellement récompensées par les scénaristes. C’est ce que personnifieront d’ailleurs chacun des différents antagonistes de la série, souvent en tête de différentes communautés rivales, qui se trouveront eux-mêmes confrontés à l’idée du meurtre nécessaire et à la tentation d’imposer leur propre loi. Ainsi, le Gouverneur est un fou revanchard avide de pouvoir et incapable de trouver de satisfaction dans la paix, Gareth est un cannibale lucide qui justifie ses actes par son statut d’ancienne victime, Alpha reste obnubilée par l’idée de la faiblesse dans un monde qui n’en excuse plus aucune, Bêta est un colosse endeuillé reniant toute son humanité et Negan lui, se plait juste à vouloir écraser les autres et à savourer sa suprématie, il est l’archétype du tyran jouissant de ses privilèges et convaincu de sa propre légitimité lorsqu’il prévient l’anarchie par la peur. Ce dernier personnage n’est d’ailleurs pas emblématique pour rien, il est la némésis parfaite de Rick (voir leur longue confrontation et leurs repères affectifs communs, Carl et Judith) et reste particulièrement représentatif de la thématique de la violence au centre de la série. Calqué sur le personnage de Billy Butcher dans la série de comics The Boys (il est étonnant de voir comment les deux personnages se ressemblent dans les comics, y compris dans leur façon de parler), Negan est de ces magnifiques ordures fictives dont on guette chacune des apparitions. La bonification progressive de Negan dès sa captivité durant la neuvième saison (un procédé « méchant se muant en héros » assez banal aujourd’hui) abouti finalement à sa rédemption totale en fin de dixième saison : en l’absence de Rick et face à la solide présence de Daryl, Negan se profile bel et bien comme un des derniers (anti)héros de la série. Une évolution morale qui ne se fait certes pas sans incohérence et qui s’oppose au cheminement psychologique de l’autre ancien antagoniste de la série, nettement plus dangereux celui-là (et mieux écrit), l’impitoyable Gouverneur. Totalement tourné vers la recherche de conflits, ce dernier a la rancune tenace et se révèle absolument incapable de raison. Son éphémère rédemption en début de quatrième saison ne fait qu’occulter la rage et la soif de pouvoir qui le rongent. Pas étonnant que Kirkman lui ait consacré une série de romans, Sean/Philip Blake EST le grand méchant de la série.


Bourré de séquences marquantes (la mort de Shane, le siège du Gouverneur, l’exécution de Glenn, les têtes plantées sur la colline), The Walking Dead réussit à captiver ses spectateurs par l’ambivalence de ses personnages, leurs interactions et le suspense quant à leur avenir. On pourra ici objecter que les auteurs recyclent un peu trop les mêmes techniques de scénarisation pour créer la surprise en sacrifiant toujours un personnage emblématique pour relancer les enjeux de l’intrigue. The Walking Dead devant sa réputation de série violente à ses nombreuses séquences de mises à mort, aucun personnage n’est à l’abri dans cet univers, pas même ceux qui survivent dans les comics, et il est toujours surprenant de voir jusqu’à quels sacrifices les scénaristes de la série sont prêts à aller. A ce titre, il est intéressant de constater que The Walking Dead et Game of Thrones ont en commun cette même propension à sacrifier leurs personnages, même les plus populaires. A l’image de l’autre série-phare des années 2010, le show de Kirkman ne recule ainsi devant rien pour créer la surprise et capter l’attention des spectateurs. Les ficelles sont parfois trop faciles pour convaincre et relèvent d’un simple détournement d’attention, le sacrifice d’Abraham en début de saison 7, particulièrement choquant, ne servant finalement qu’à surprendre les lecteurs du comics de manière à les laisser croire que Glenn va peut-être y réchapper. Dans le même ordre d’idée, il suffira au spectateur d’être assez attentif pour lui permettre de deviner qui sera bientôt tué, une place plus importante qu’à l’accoutumée étant généralement accordée à un personnage secondaire avant de le voir sacrifié en fin d’épisode (Dale, Tyrese, Noah, Denise…). Qui plus est, outre ses nombreuses démonstrations de cruauté, le show ne tient plus qu’aux liens qui unissent les personnages et à leurs interactions, qu’elles soient conflictuelles ou non. Les longs tunnels de dialogues, parfois un peu lénifiants quand il s’agit de débattre sur la question de la justice et de la vengeance (voir les interminables joutes verbales entre Morgan et Carol), finissent par faire ressembler l’ensemble du show à une sorte de soap opera post-apo aux sursauts horrifiques, où l’on s’aime sans pouvoir s’aimer.


Série-phare de notre époque, The Walking Dead est loin d’être la série la plus irréprochable qu’il soit. Son intrigue à rallonge, bourrée de ramifications, participe à la rapprocher des nombreux contournements narratifs de Lost. Ceci dit, Kirkman n’est pas Damon Lindelof et ne s’autorise jamais à proposer d’intrigues sans penser à leurs résolutions. Parfois maladroite dans son développement, The Walking Dead reste une série passionnante à suivre, notamment grâce au traitement de la psychologie de ses nombreux personnages et aux questionnements moraux que son intrigue soulève. Porté par un casting de grande qualité (Andrew Lincoln, Norman Reedus, Melissa McBride, Laurie Holden, Jon Bernthal, Danai Gurira, Jeffrey Dean Morgan, David Morrissey et tant d’autres) et bénéficiant du savoir-faire d’artisans rompus à l’exercice du frisson visuel, le show s’impose aujourd’hui comme une des meilleures séries horrifiques jamais diffusées. Un long ride post-apo dont il est à souhaiter que les auteurs soigneront la conclusion lors de l’ultime conflit avec le Commonwealth.

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le 6 juin 2021

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Buddy_Noone

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