2 ans. Du 24 mars 1985 au 22 mars 1987, les cent et un épisodes de Touch se sont égrainés chaque dimanche sur la télévision japonaise.
2 ans c'est aussi la durée pronostiquée par Kazuya à son jumeau Tatsuya pour qu'il devienne un excellent lanceur dans la team de baseball du lycée, pour peu qu'il daigne se mettre au travail.
2 ans, j'aimerais pouvoir dire que c'est le temps qu'il m'a fallu pour finir la série, ce serait poétique, mais non. Je l'ai commencée il y a 5 ans et demi, ai regardé la première cinquantaine d'épisodes, me suis interrompu pendant... 5 ans et demi pour reprendre là où je l'avais laissée il y a un peu moins d'un mois. Si bien que lors de la reprise de mon visionnage, Touch était déjà nimbé d'une nostalgie indéniable quoiqu'assez insaisissable. Le souvenir des épisodes précédents revenait petit à petit, à mesure que les nouveaux réactivaient des instantanés dans le désordre. Des couleurs auxquelles l'oubli confère des tons pastel, des aquarelles diluées ; des fragments d'intrigues qui 5 ans plus tard ont pris des airs de mythes.
Je vous raconte tout ça par souci de singer le maître, Mitsuru Adachi, qui dans ses mangas commence toujours par planter un décor. Les personnages, aux grands yeux lumineux, aux visages ronds et aux silhouettes légèrement potelées, ne viennent s'ébattre qu'une fois la salle de classe, le terrain de baseball, la cabane au fond du jardin, le café désert, le vestiaire des filles, ont été minutieusement dessinés et ont eu le temps de respirer un bon coup avant d'être habités par des humains. Dans l'adaptation animée de Touch, le décor occupe une place toute aussi importante et je dirais même qu'elle y apporte une dimension supplémentaire. Déjà parce que le directeur artistique et dessinateur de décor n'est jamais que Shichiro Kobayashi (Berserk, Utena, L'oeuf de l'ange, Rémi sans famille, Golgo 13, Windy Tales, etc), et qu'il insuffle à la série une partie de sa sève avec ses peintures magnifiques composées de contrastes de vert (les feuillages ébouriffés des arbres, si reconnaissables), de orange (la terre entre jaune pastel et ocre intense) ou de gris (lorsqu'il pleut c'est un festival de monochromes splendides sur l'extérieur et l'intérieur des bâtiments)... Je suis un gars simple, un roman photo composé de paysages de Kobayashi suffirait à mon bonheur éternel.
Mais Touch fait quelque chose de plus, quelque chose qu'il était impossible de représenter dans un manga (à moins de s'appeler Yuichi Yokoyama) et qu'à vrai dire je n'ai jamais vu aucune autre série tenter de cette manière : un bruit de fond. Touch est une série qui prend son temps. Les personnages peuvent passer longtemps à regarder dans le vague sans proférer le moindre mot. Mais le silence est bien souvent troublé par un frisson de vie qui refuse obstinément de partir. Si on est au lycée, on entendra le brouhaha joyeux des élèves qui papotent. Sur le terrain de baseball, le cling métallique des battes qui frappent les balles, la clameur des joueurs qui trottinent autour du terrain en gueulant « FIGHTO ! FIGHTO ! ». Un jour de match, on entendra le tintamarre des supporters, les hymnes de fanfare en boucle avec les percussions qui vont avec. Le trafic, les sonnettes des vélos, les klaxons, les oiseaux, la pluie battante... Des éléments qui ne sont certes pas fondamentalement absents du commun des séries (ce n'est pas moi qui essaierai de vous faire croire que Touch a inventé le bruit), mais qui n'ont jamais eu cette présence particulière, cette façon d'exister dans le mixage à côté des doubleurs, de perdurer dans les scènes taiseuses. Adachi est un mangaka du temps suspendu ; l'animé de Touch apporte sa propre suspension, spécifique à son médium, qui passe par tous les regards pensifs des personnages adolescents, flottant parmi le bruissement continu d'un extérieur qui palpite effrontément comme pour les pousser hors de leur indécision. Une vie de fond qui donne chair aux scènes : à l'école c'est une routine faite d'hormones bruyantes et d'une apparente insouciance ; sur le terrain d'entrainement c'est le son du travail intense (surtout dans le dernier tiers de la série) d'élèves dont certains sont parfaitement conscients de ce qu'ils visent tandis que d'autres suent sans trop savoir pourquoi ; dans le stade le bruit fait monter la pression et les enjeux, c'est une foule qui fait peser sur les joueurs le poids de leurs attentes.
Le cas de la bande originale en tant que telle est différent. Elle est excellente, les chansons ont un charme fou (encore décuplé de nos jours avec la teinte sépia que leur donne leur âge) et je prédis non seulement que je les fredonnerai encore un bon moment, mais qu’elles deviendront des incontournables lorsqu’il s’agira de soigner les défaillances de mon petit moral. Cela étant dit, si la BO contribue de fait au charme intemporel de Touch, je pense que certaines scènes auraient été encore plus puissantes avec ce fameux équilibre de silence et de bruit de fond. Ça n’est que très rarement le cas mais je me dois de le noter. De la même manière, Touch n’a quasiment jamais recours à des monologues internes, un gros plan sur le visage d’un personnage gardera toujours quelque chose d’ambigu. Non pas que l’on souhaite constamment garder le spectateur à l’écart par pudeur (même si ça peut jouer), c’est surtout que nos personnages sont des ados confrontés à leurs propres atermoiements. Une bonne partie des enjeux consiste, pour eux, à comprendre dans quelle direction penche leur cœur. Cette retenue – et cette justesse taiseuse – est l’un des éléments les plus admirables de la série, c’est pourquoi les (très) rares passages qui nous font entendre ces pensées me semblent plus faibles en comparaison, et apparaissent comme des concessions pour mieux souligner au marqueur les séquences censées être les plus fortes – des résolutions d’arcs narratifs généralement.
En regardant Touch j'ai été impressionné par la constance, sur 101 épisodes, de la qualité de l'animation et des plans originaux. Ça n'empêche certes pas d'avoir régulièrement des persos qui louchent, ou d'avoir quelques shots d'animation qui se répètent. Pour ces derniers il s'agit surtout de certaines scènes d'entrainement, dont certains plans sont recyclés. Et à vrai dire ces plans – en plus d'être étonnamment rares si on considère le nombre de scènes où la Meisei team ressasse encore et toujours les mêmes exercices – permettent d'appuyer efficacement le côté assommant de la répétition ad nauseam de ces gestes. Les scènes de danses de Minami sont également récurrentes, mais changent à chacune des 4 saisons (devenant plus impressionnante à chaque mise à jour). Quant aux strabismes accidentels, ma foi ça m'aura occasionné quelques rires au début – et puis une fois pris dans l'enivrant quotidien de la série je ne les ai plus remarqués. Autrement la série m'aura visuellement tenu en haleine, son animation est très clean, très belle, même si elle reste discrète, réservant ses séquences les plus ostentatoires aux climax scénaristiques. Mais Touch aurait pu briller même avec une animation moindre. Comme pour tant d'autres éléments dans la série, il ne s'agit pas tant de scènes spectaculaires prises isolément que d’une grande solidité d’ensemble. Tous les épisodes, et je dis bien tous, sont mis en scène avec goût. Il faut bien dire qu’avec pour modèle le superbe découpage d’Adachi, cinématographique en lui-même, un épisode qui se contenterait de décalquer le manga serait déjà bien fameux. Bien sûr certains épisodes surnagent (j’ai soigneusement consigné tous les noms des types responsables des plus beaux épisodes), mais je n’ai pas le souvenir d’un épisode qui ait seulement touché du doigt la médiocrité. Peut-être un qui a tenté une approche graphique différente dans le design des persos, en épaississant certaines lignes (à la manière du manga), une tentative louable mais qui ne rendait pas aussi bien à l’écran que le dessin classique – mais c’était loin d’être un mauvais épisode pour autant. On parle quand même d’une série qui a réussi à me mettre au bord des larmes durant un épisode récap, qui proposait un (re)montage très personnel d’évènements passés autour du personnage de Minami. Un récap qui devient l’un des meilleurs épisodes, là vous savez que vous êtes en présence de quelque chose de spécial.
Dans la trame même de Touch il y a toujours un je-ne-sais-quoi d'incertain. Ce qui peut paraître étonnant au vu des axes plutôt clairs de la série, en phase avec ce qu'on pourrait attendre d'un shonen sportif & rom-com : embrasse la fille et remporte le gros tournoi. Mais certains précédents – que je ne spoilerai certainement pas – nous feront constamment douter que les choses se dérouleront comme on a pu le penser. C'est là que le côté life de l'étiquette slice of life prend son sens. La vie, comme chacun sait qui y batifole depuis un certain temps, ça ne se passe pas comme on l'a prévu, et Touch – qui a bien retenu cette leçon – ne donne pas dans l'escapism. Le baseball et les jolies filles ne sont que des poissons dans le fleuve du quotidien. Attention, la série est très loin d'être pessimiste et ne s'empêche pas de rêver, mais les quelques coups de réel qu'elle assène parcimonieusement permet de conserver une vraie tension narrative au sein d'un canevas qu'on croyait bien rebattu. Quand un bras se tend pour lancer une balle cruciale, l'issue reste imprévisible.
C'est ma première adaptation animée de Mitsuru Adachi. Il y en a quelques autres – dont certaines sont également réalisées par Gisaburou Sugii – mais de ce que j'ai pu en voir Touch est celle qui saisit le mieux l'esthétique du mangaka, tant par la précision de ses décors que par l'expressivité des personnages (notamment grâce au chara-design qui émule parfaitement la rondeur des visages, le diamètre des yeux et des crânes, bref cet air mystérieux qu'arborent les protagonistes et qui leur donne un air tantôt mutin, tantôt ahuri). Je ne dispose ni tout à fait du recul ni de la connaissance nécessaire pour l'affirmer, mais il me semble que cette adaptation a réellement (pardonnez l'expression) touché quelque chose de miraculeux dans son alchimie pourtant si simple en apparence. Le genre de série pour laquelle je peux oser dire cette phrase clichée et niaiseuse au possible : qu'elle change la vie. Je ne sais pas exactement dire en quoi, je pense que ça se situe quelque part au delà des mots. Et moi de prendre exemple sur ces visages songeurs qui longtemps encore me hanteront, en me taisant un moment.
Deux petites séquences pour donner envie :
https://www.sakugabooru.com/post/show/18785
https://www.sakugabooru.com/post/show/18777