Depuis qu'il s'est fait un nom dans le métier de wildlife cameraman il y a une bonne dizaine d'années, Gordon Buchanan ne cesse de repousser les limites classiques du documentaire animalier. Formé sur la fameuse série de la BBC Big Cat Diary (9 saisons entre 1996 et 2008), cet Écossais pur jus a été l'une des têtes d'affiches du service public britannique sur les mini-séries labellisées Expeditions (Expedition Borneo en 2007, Lost Land of the Jaguar en 2008, Lost Land of the Volcano en 2009, Lost Land of the Tiger en 2010 et The Dark: Nature's Nighttime World en 2012). À la fois caméraman et présentateur de ses propres aventures, aux côtés des ses acolytes habituels sur ces reportages consacrés à l'exploration d'endroits sauvages et inviolés, Buchanan a fini par devenir meilleur devant la caméra que derrière !
En tous cas, du point de vue des producteurs de la BBC Natural History Unit, plus intéressant à filmer qu'à laisser filmer. Un nouveau concept a ainsi été créé, pour lui ou par lui : The [...] Family & Me. En 2011, ce fut d'abord The Bear Family & Me, une série en trois épisodes dans laquelle Gordon partageait le quotidien d'une famille d'ours noirs dans les forêts du Minnesota. Deux ans après dans The Polar Bear Family & Me, c'est sur l'archipel arctique norvégien de Svalbard qu'il tentait de se faire accepter par une mère ourse polaire et ses deux cubs. Suivirent des concepts similaires avec des loups de l'Arctique sur l'île canadienne d'Ellesmere (The Snow Wolf Family & Me, 2014), des gorilles dans la jungle tropicale du Congo (Gorilla Family & Me, 2015), et tout récemment des éléphants au Kenya (Elephant Family & Me, 2016).
À chaque fois, le modus operandi est le même : parfois absolument seul et équipé d'une petite caméra, parfois accompagné d'un cadreur et d'un preneur de son, Gordon s'approche au plus près des animaux sauvages, qui finissent par s'habituer à sa présence. Cette acceptation au sein de la famille en question permet d'offrir aux téléspectateurs des images souvent stupéfiantes sur ces animaux, révélant certains comportements jamais documentés. Un concept bluffant, donc, admirablement réalisé et probablement très peu scénarisé, avec un présentateur particulièrement attachant par son enthousiasme juvénile, ses considérations pleines de justesse sur le respect de la nature, et ses connaissances encyclopédiques sur la vie sauvage.
Tribes, Predators & Me, diffusé en mars 2016 sur BBC Two, est une remarquable variation de ce concept. Dans chacun des trois épisodes, Gordon passe deux semaines avec une tribu humaine vivant au contact d'un terrifiant prédateur ! Dans la jungle amazonienne de l'Équateur, les Indiens Waorani lui enseignent à attraper un anaconda géant à mains nues ; dans le désert du Kalahari, les Bushmen lui montrent comment disputer à de féroces lions la viande d'une antilope fraîchement tuée ; et dans les marais de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Ngala et les Maw'pa l'emmènent capturer d'énormes crocodiles, là aussi à mains nues...
Que ce soit avec le serpent, le félin ou le saurien, inutile de dire que les images sont excessivement impressionnantes. Si les habitués des documentaires animaliers sont familiers de ces espèces, souvent filmées de loin depuis l'abri d'une voiture ou d'un affût, voir des humains s'en approcher - et même les saisir ! - a quelque chose d'infiniment plus puissant. Mais le plus marquant dans Tribes, Predators & Me, c'est le changement radical de perception que suscite presque automatiquement le visionnage. Au contact de ces tribus, qui vivent en harmonie avec ces dangereux prédateurs depuis des millénaires, Gordon abandonne rapidement ses peurs superstitieuses et finit par envisager la cohabitation entre humains et animaux sous l'angle du respect. Doublé d'un aspect anthropologique particulièrement intéressant - les Maw'pa ont vu pour la première fois des étrangers il y a moins de dix ans, et ont abandonné seulement récemment le cannibalisme, nous précise-t-on l'air de rien - Tribes, Predators & Me est un documentaire parfait, qui suscite à la fois l'émotion et la réflexion. Comme dirait Gordon : "It's amaaaazing!!!"