The Crow
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le 19 avr. 2021
Énième teen series teintée de fantastique sur fond high school? Le premier épisode pourrait nous le laisser croire : sempiternelles scènes scolaires où Jared écope du sermon sur son potentiel gâché, attendu pote nerd-gamer, et non moins prévisible mâle dominant qui s'en prend aux deux. Sauf qu'ici, au lieu d'être affublé de lunettes et d'un corps de gringalet souffreteux, le gamer sédentaire est obèse; le vilain n'est pas l'armoire à glaces capitaine d'équipe mais un paumé au physique de toxico, et aux motivations encore obscures.
Bref, rapidementet après en avoir fait étalage, Trickster tord les codes du genre. Et quand Jared sort du monde scolaire on comprend que l'on aura définitivement pas affaire à "Vampire diaries" ni même à "I am not ok with this" : le paysage social n'est pas une communauté américaine plus ou moins proprette et provinciale, derrière laquelle se cacheraient vices et dévergondages. C'est une réserve indienne, un trou paumé sordide ou sévissent désœuvrement, fraude à l'aide sociale sur fond de drogues, d'alcool et de barraques tout sauf propres.
Le tout ne nous est pas présenté de but en blanc, c'est bien sûr à travers le prisme de Jared, de sa famille, de ses relations, de ses rencontres, de ses occupations, que prend vie le tableau.
Je suis tombé sur la série par hasard, et lui ayant de prime abord prété un oeil torve, ce n'est qu'au deuxième épisode que j'ai saisi que l'on était pas aux USA mais au Canada. Je me disais aussi : hormis quelques rares productions, comme le récent "Monsterland" ou le plus ancien, comique et néanmoins réaliste "Earl", les États-Unis préféraient souvent nous dépeindre leur contrées au travers de bimbos plus ou moins juvéniles genre "Charmed" et consorts.
Cette série est d'une facture tout à fait honorable, conforme même, aux standards; les acteurs sont plutôt bons ce qui ne manquera pas d'étonner les étasuniens. Ils portent souvent ce regard condescendant à leur grand voisin du Nord, regard qui ne nous est pas étranger à nous, français, pour l'avoir copieusement jeté sur la Belgique, par exemple.
Il n'est pas pour me déplaire de voir les Canadiens anglophones (mon côté chauvin regrettera que ce ne soient pas les québécois), s'emparer des codes, des thèmes et du savoir faire américain pour en faire un objet beaucoup plus réaliste, lucide sur ces sociétés par trop idéalisées.
Il y a quelques années, j'ai passé quelques jours dans la ville d'une réserve indienne au Québec; séjour fort court mais suffisant pour comprendre que francais ou québécois, nous n'étions sur ces terres qu'invités et aussi pour lire la résignation dans certains regards. La ville que j'ai connue n'était ni si paumée ni si petite ni si sordide que celle qui nous occuppe, mais je peux témoigner d'une parenté certaine.
Le ton de la série n'est pas miserabiliste alors même que patelin et situations sont vraiment merdiques. Jared est combatif, sa mère aussi malgré un sérieux pet au casque, quitte à prendre des libertés avec la loi. Curieusement, par velléité familiale sans doute, il s'en emeut un peu alors qu'il a recours à pires expédients. Le père officiel est un fraudeur, bon à rien, il profite de son fils, mais on ne le hait pas pour autant : la vie de merde pousse autant à des bassesses qu'à certaines complicités pas toujours coupables et à d'autres générosités, comme celle du nerd qui vend son compte de gamer pour voler au secours de son pote. La sans doute future copine de Jared, encore plus marginale si c'est possible, en tant qu'orpheline trash aux cheveux multicolores, profite, elle, d'un système fédéral que l'on perçoit bien lui aussi comme "invité" sur ces terres. Elle migre d'une famille d'accueil et d'une ville à l'autre pour chercher ses parents biologiques en semant opportunément la merde pour se faire déménager. Elle est rêche et directe, probablement sincère à ses heures. Il y en a d'autres, mais on a déjà là une belle brochette de personnages aux facettes multiples et contradictoires, tordus, parfois violents. A l'inverse, le vilain toxico des premières scènes s'avérera capable de compassion. Ils sont surtout bien plus complexes que les caricatures étasuniennes qui ne sont généralement tiraillées qu'entre deux pôles, bien et mal, ou plus précisément culpabilité et rédemption (dualité dont James Ellroy se fait volontiers l'apôtre). On sent, bien au contraire, chez ces amérindiens pourtant largement contaminés par la culture consumériste occidentale, une grande abscence de culpabilité sauce judéo-chrétienne quand bien même les missionnaires ont bien oeuvré là-bas aussi. Serait-ce parceque la culpabilité est dans l'autre camp ? Voilà une question intéressante, parmi celles que soulève cette série qui nous emmène en territoire largement méconnu car si peu exploré.
Je me rends compte que je n'ai pas abordé le côté fantastique, la sorcellerie dans cette histoire. Il est jusqu'ici très ténu, au point que l'on peut se demander si ce n'est pas un appât un peu racolleur pour attirer le chaland et le confronter à un monde qu'il ignore. Racolleur, peut-être au fond; dans la forme, je ressens plutôt que le script fait dans la retenue, la fugacité, et dans une dubitative intermittance qui n'est pas sans, de surcroît, ménager un certain suspense.
J'aimerais savoir si l'équipe aux manettes est elle même amérindienne, au moins partiellement. Si c'était le cas, ce serait une bonne nouvelle, autant pour que ces peuples fassent entendre leurs voix avec talent, que pour explorer plus avant les particularités de cette série.
Créée
le 13 janv. 2021
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