NAIVE NOIRCEUR DU VRAI POSEUR

Il paraît que cette histoire policière aux résonances lovecraftiennes s'inspire de certains auteurs récents, mais je ne les connais pas et ai oublié leurs noms.

Ah! Enfin me dis-je, une oeuvre audio-visuelle U.S. explorant de long en large les tréfonds marécageux de la psyché de ses personnages, pour exposer les plus sombres recoins de la nature humaine! Et le plus lucide représentant de cette fange fictionnelle cite Nietzsche à tour de bras pour nous ouvrir la voie!
Mais voià, au coeur de ces mousseuses contrées de vivace décomposition moite, une insolite réaction, une infraction à l'habitus policier, et mon enthousiasme retombe. Se pourrait-il que cette noirceur ne fût que façade, cet étalage de philosophie nihiliste une pose? Notre vertueux policeman s'indigne outre limites, de l'adoption par des notables du cru, de pratiques relevant d'une sorte de vaudou fort à sa place dans le bayou. Ma foi, me dis-je, peut-être débarque-t-il d'une de ces régions du nord où l'on a grillé depuis longtemps les dernières sorcières, et où les carrières se sont bâties sur la laborieuse éthique protestante, plutôt que sur le plus catholique sacrifice magique? (ça se pourrait bien, oui, mais j'ai oublié).
Dès lors, étonnante convergence entre les convictions de l'enquêteur joué par McConnaughey, et le culte paien sur lequel il enquête. Intriguant contre-sens dans sa conception de l'éternel retour de Nietzsche, pour lequel il s'agissait de dire oui à la vie ici-bas contre l'espoir d'une vie meilleure dans un au-delà : le flic fait une lecture doloriste profondément chrétienne d'un auteur qui visait à laisser la religion de la culpabilité et du ressentiment dans les poubelles de l'histoire (mais bon, si elle doit recommencer... ça fera des fouilles pour les archéologues).

Dans ce contexte puritain sudU.S.ien, les manifestations du mal (plus ou moins "absolu") sont bien entendu de nature sexuelle. Une aventure extra-conjugale signale que les bons se sont laissés gagner par la corruption et la démoralisation. Et on torture les malfaiteurs en leur montrant des images d'enfants violés. Il y a là une certaine candeur. Comme si ces pratiques criminelles n'existaient pas partout où est permise l'exploitation des humains. Je croyais que les policiers comme des criminels étaient familiers avec la glauque réalité derrière les apparences. Certes, ça leur bouffe le moral, mais précisément parce qu'ils en arrivent à douter de la nature humaine, et du caractère exceptionnel des auteurs de ces actes « inhumains ». Ils deviennent donc blasés, voire cyniques. Ça ne détruit pas soudain leur vision du monde, pas après des décennies d'activité au contact de la folie cachée derrière les portes. Leur attitude dans la série est psychologiquement irréelle, d'une naiveté inappropriée. Elle fait tache dans ce contexte pseudo-réaliste, style revendiqué par la série. Ou formule?
En d'autres temps, des chrétiens ont douté de l'existence de dieu à cause du nombre des victimes de catastrophes naturelles, comme celle qui est survenue au Portugal au XVIII e siècle. Ou encore à cause d'un génocide en particulier, qu'ils considéraient comme exceptionnel - pour la seule raison que les autres n'avaient pas la même proximité géographique, historique, et ethnique (nonobstant le caractère unique des exactions nazies – mais chaque génocide est particulier, entre autres lapalissades). Il aura suffi à d'autres aux vues plus étroites (adeptes du providentialisme protestant peut-être), d'un malheur individuel pour remettre en cause leur foi (le genre de gars qui remercient dieu pour leur carrière). Bon, il y a ceux comme Victor Hugo qui se mettent à faire tourner les tables pour contacter leur fille défunte. Tout cela est très triste, mais ça ne fait pas un polar hard boiled comme True detective s'en donne les airs. C'est même parfaitement intégré aux conceptions de la vie japonaise, assez stoïque devant les désastres, ou indienne, pour ce qui est des diverses modalités d'exploitation des enfants de basse caste.

Une résolution complète de l'enquête aurait nui à l'aura de cette mystique du mal absolu lovecraftien. On n'est plus à l'époque scientiste de l'iconoclaste Scooby-Doo, de « Chapeau melon et bottes de cuir », de « Zardoz », etc. où chaque mystère dissimulait un banal tour de passe-passe (bon, Sherlock Holmes est apparu à l'époque du spiritisme quand même, d'ailleurs pratiqué par Conan Doyle, et qui finissait par conquérir le matérialiste professeur Challenger dans sa dernière aventure).

Cette série aura cependant réussi à m'infliger d'ultimes et insoutenables images, lorsque le flic nihiliste (une conception mal renseignée de Nietzsche) retrouve la foi et la probable voie des alcooliques anonymes.
Tout ça pour ça. J'invoque l'esprit de la bonne époque des versions tronquées pour le marché français : diffuseurs, censurez les cinq dernières minutes!

(critique publiée le 23 octobre 2015)

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Sous ses airs réalistes, la première saison puise dans le même imaginaire chrétien archaique complotiste que les manipulateurs intégristes de QAnon.

Une comparaison avec le complotisme réaliste de la série Fargo (sous ses airs fantaisistes) serait amusante.

(et ne pas oublier d'ajouter Doctor Who à la liste des séries démystifiantes qui dénichaient les arnaques scientifiques derrière les phénomènes surnaturels - car toute science apparaît comme magie à l'ignorant, et est totémisée par le scientifique, pour ne pas citer Asimov, ou Clarke plutôt, mais c'est le même esprit bibi)

(19 janvier 2024)