Cette série de 9 épisodes d’une heure chacun, réalisée par l’Américain Brian Knappenberger (« Paroles de scouts »), permet de mieux saisir les enjeux du monde contemporain, en particulier sur la guerre en Ukraine depuis 2022 sur laquelle chaque épisode débute et expliquée en détails dans le dernier épisode. Pour cela, on remonte le temps jusqu’en 1938, lorsque la fission nucléaire est mise au point par des chercheurs allemands. La bombe atomique qui en a découlé a totalement bouleversée les relations internationales et surtout entre Américains et Soviétiques puis Russes depuis 1991. L’essai Trinity en juillet 45 marque l’aboutissement des recherches américaines puis son utilisation le mois suivant sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki, tragédies aux deux cent cinquante mille victimes qui ont joué un rôle essentiel dans l’émergence de la guerre froide, période d’affrontement indirect entre les 2 blocs mais où la 3e guerre mondiale a été frôlée lors de la crise des fusées de Cuba par exemple en 62 (l’épisode 4 raconte cette crise quasiment au jour le jour). Psychose autour de l’espionnage, stratégies d’influences menées par le KGB et la CIA, mur de Berlin, catastrophe de Tchernobyl : le réalisateur raconte minutieusement comment deux visions du monde antagonistes, capitalisme et communisme, s’affrontent pour étendre leur zone d’influence, sur fond d’une destruction possible de l’humanité.
La qualité des archives présentées ainsi que des intervenant(e)s est à souligner, avec la participation d’auteurs, d’ambassadeurs, de chefs et de secrétaires d’État de nombreux pays (j’ai ainsi découvert des photos de jeunesse de Gorbatchev que je ne connaissais pas). Certains témoignages sont particulièrement touchants, comme ceux de l’analyste militaire Daniel Ellsberg, à l’origine des Pentagone Papers, ou de Robert Meeropol, fils d’agents secrets, les Rosenberg, accusés d’avoir fait fuiter vers l’URSS les plans de la bombe atomique, exécutés en 1953 par l’État américain. Ou encore l’arrière-petite-fille de Khrouchtchev. Côté politique, Condoleeza Rice, Tony Blair et Volodymyr Zelensky sont longuement interviewés dans les derniers épisodes et racontent les évènements auxquels ils ont été/sont confrontés. Je suis plus circonspect sur l’interview de Mikhaïl Khodorkovski, homme d’affaires plus que sulfureux qui a eu le malheur de se mettre en travers de la route de Poutine. Avoir été emprisonné et se drapant désormais dans son costume d’opposant n’en fait pas pour autant un personnage respectable ni honnête malgré son sourire qui ne m’inspire aucune confiance. Même si la Russie d’aujourd’hui descend largement de l’URSS de Staline, et que le régime de Poutine est mis en cause à juste titre, les Etats-Unis ne sont pas pour autant épargnés : un intervenant nous dit logiquement que si les Russes commettent des crimes de guerre aujourd’hui en Ukraine (visant délibérément des populations civiles lors de leurs frappes par exemple), les Etats-Unis en ont eux aussi commis, que ce soit au Vietnam ou lors de la guerre en Irak après 2003. Cette série prend son temps pour nous montrer à quel point l’histoire éclaire le monde actuel, complexe, fragmenté et dangereux et qu’en oublier les leçons pourrait conduire à des tragédies sur lesquelles s’interrogent plusieurs spécialistes.
Chronologiquement, la guerre froide est censée se terminer en 1991 avec la disparition de l’URSS mais en réalité, il est fort possible qu’elle n’ait jamais pris fin jusqu’à aujourd’hui. Le risque d’accident ou de frappe nucléaire délibérée (sur l’Ukraine ou un pays européen) est aujourd’hui une possibilité dont il faut tenir compte, ce risque est le plus élevé depuis 1945 sans aucun doute. Le 1er ministre japonais jusqu’en 2024, Fumio Kishida, s’interrogeait en 2022 dans ces termes : « L’élan en faveur d’un monde libéré des armes nucléaires semble s’essouffler. Comment a-t-on pu en arriver là ?». Une question vaste à laquelle cette série amène des éléments de réponse avec intelligence. Très recommandable, y compris pour des lycéens de Terminale qui ont la guerre froide et le monde contemporain dans leur programme d’histoire.