Y'a pas à dire, regarder une vieille série est un exercice aussi passionnant que risqué. Passionnant parce que, bien plus que son pendant cinématographique, la fiction télévisuelle est, la plupart du temps, un parfait miroir de son époque. Souvent moins ambitieuse artistiquement parlant qu'un film (quoique la tendance s'inverse de plus en plus ces dernières années), la série est avant tout un produit populaire, un objet de consommation de masse qui se fait souvent dans la rapidité et qui, à l'instar des romans-feuilletons du 19ème siècle, accumule les clichés, tics formels, et autres répétitions narratives permettant l'économie de temps et d'argent. Risqué, donc, de se jeter dans le passé, puisqu'une série a la sale habitude de vite se démoder et ce qui semblait un bon vin à nos parents n'est parfois plus qu'un infâme vinaigre aujourd'hui. J'en sais quelque chose puisque je suis en train de regarder « Amicalement vôtre » et que j'en chie grave... D'avance, je plains nos enfants lorsqu'ils se hasarderont à jeter un oeil à un épisode de « 24 heures chrono » ou des « Experts: Miami », eux aussi bons gros produits de leur époque...


Twin Peaks fait partie des séries qui me font mentir. Twin Peaks ne se démodera jamais parce que, déjà à l'époque de sa diffusion, l'oeuvre de Lynch et de Frost se moquait éperdument de coller à un quelconque standard, et même l'évitait soigneusement. Ainsi, elle s'affichait ironiquement comme déjà démodée dans son style visuel ou, pour être plus exact, brouillait tellement les références vestimentaires, mécaniques, musicales, etc., que le cadre du récit en est devenu pratiquement intemporel. Mais surtout, au niveau technique et artistique, on se retrouve devant une qualité et une exigence plus proches du cinéma que du soap-opera: jeux de lumière hypnotiques, ambiance sombre, lumineuse ou encore psychédélique, travellings lents, scènes contemplatives alternant avec des moments de brusque tension... L'ambition artistique est évidente et permettra à Twin Peaks de perdurer dans le temps en tant qu'oeuvre et non comme produit... Voilà pour la forme. Et au niveau du fond, me direz-vous ? Hé bien, le scénario cherche d'une part à marier les différents thèmes propres aux fictions télévisées et d'autre part se moque joyeusement de tout cela en embarquant le spectateur dans l'extravagant, l'inattendu, l'original.


Twin Peaks est donc tout à la fois un drame, une enquête policière, une (ou plutôt plusieurs) histoire(s) d'amour, une farce burlesque, un récit fantastique et, enfin, une plongé dans l'inconscient et le rêve. Tous ces éléments, pris indépendamment, ne se valent pas. Certaines love-story flirtent avec le ridicule par moment (quelqu'un pourrait-il abattre cette huître inexpressive qu'est James Hurley ? Parce que à force de le voir tomber mollement amoureux d'une nouvelle femme tous les 5 épisodes, je vais finir par devenir violent), le côté burlesque devient pénible durant la mauvaise passe de la saison 2 (j'en reparlerai), l'enquête policière présente quelques raccourcis faciles au bord de l'incohérence, etc. Cependant, pris dans leur globalité, ces éléments s'entremêlent, se renforcent les uns les autres et finissent par se doter d'une structure interne auto-référencée qui donne à la série tout entière cette stupéfiante force évocatrice propre aux légendes.


« Rien n'est ce qu'il semble être » pourrait être le leitmotiv de la série. Ainsi, la première saison se concentre principalement sur l'enquête et les intrigues « soap opera » des habitants de la petite ville. Au bout de ces 8 premiers épisodes, on pense donc avoir compris les ressorts de « Twin Peaks » et, malgré ses constantes petites bizarreries, on plonge dans un train-train agréable mais guère transcendant. Malgré le culte voué par certains fans à cette première saison, j'affirme que le meilleur reste à venir. Pour moi, cette saison 1 n'aura été qu'une introduction, belle mais trop sage. Il est encore difficile à ce stade de s'attacher vraiment aux personnages: trop survolés, trop engoncés dans leurs stéréotypes de douce dinguerie pour vraiment émouvoir. Exception faite pour le héros, l'agent spécial Dale Cooper, interprété par un Kyle MacLachlan magistral, donnant à la folie de son personnage une humanité, une bonté et une présence proprement irrésistibles.


Et puis, la saison 2, divisée en deux parties, arrive, et c'est le choc ! Le fantastique, l'étrange et le rêve arrivent enfin vraiment et l'histoire plonge rapidement dans un mysticisme qui s'ouvre totalement à l'intuition, au hasard, aux connexions impossibles entre les signes et leur synchronicité jungienne. Ce mysticisme devient véritablement le style d'investigation de Cooper, et la sombre nature qui entoure Twin Peaks, forêt de cauchemar en proie aux démons, ouvre son inconscient dément à celui des Hommes dans une confrontation cosmique qui transforme la simple enquête du début en quête spirituelle. Et que dire de la puissance émotionnelle de certaines scènes, grâce à des personnages enfin transcendés qui se cherchent dans des dialogues qui sonnent toujours plus justes, au plus profond de nos doutes et de nos peurs ! Cependant, comme la rumeur ne cesse de le prétendre, la seconde partie de la saison 2 contient bel et bien des épisodes soudainement très moyens, voire carrément mauvais. L'intrigue stagne, peinant à se renouveler après un événement capital dont je ne vous dirai bien sûr rien, et le côté burlesque devient un pur ramassis de conneries pathétiques. Et encore, je reste poli. La transition est aussi brutale que de voir un top-model démaquillé et de débander aussi sec. Cependant, les fans exagèrent la durée de cette baisse de régime qui ne dure « que » 5 ou 6 épisodes. Après ça, la série remonte en qualité jusqu'à atteindre la stratosphère du jouissif dans le dernier épisode réalisé par un Lynch à qui on a retiré sa camisole de force pour le laisser se trémousser dans son délire pictural.


Twin Peaks aura été pour moi, presque 25 ans après sa création, un incroyable voyage initiatique comme je les affectionne, un de ces trucs qui bouleversent ma façon de voir le monde et le poids de mes propres actes au sein de celui-ci. Alors oui, aussi superbe soit-il, le final est tout de même un beau coup de pute puisqu'il ne propose pas de conclusion satisfaisante. Arrêtée trop tôt, la série avait manifestement encore pas mal d'arcs narratifs et de questions légitimes à jamais sans réponses. En attendant de voir le film, je ne peux me consoler qu'en me disant qu'on ne se souvient de nos meilleurs rêves que si on se réveille avant qu'ils ne se terminent...

Amrit
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le 14 févr. 2013

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