Twin Peaks c’est l’Histoire, la légende. Du culte à gogo : du candide et iconique Dale Cooper à la manipulatrice Audrey Horne, en passant par Bob le démon et la Femme à la Bûche, Twin Peaks c’est une galerie de gueules, celles de Freakshow mais aussi des personnalités plus « humaines », qui pourraient sortir tout droit d’un Peyton Place. Car Twin Peaks touche tour à tour, et ce sans le moindre scrupule, la série policière, le fantastique, l’horreur, le soap, et parfois même la sitcom (sauf rires pré enregistrés), l’humour ayant une place prépondérante notamment grâce au génial Dale Cooper qui amène une naïveté enfantine contrastée par un esprit d’une intelligence remarquable, jamais en sommeil. On passe du rire, parfois saupoudré d’un léger malaise, aux larmes, sans vraie logique narrative, et pourtant ça marche. Audrey Horne rit come une folle ? Au passage suivant, elle se retrouvera en larmes, des larmes de tristesse. Ainsi va la vie à Twin Peaks.
Ce n’est donc clairement pas une série comme les autres, jetée sans réflexion ni travail de fond à des spectateurs avides de mystères et de rebondissements. Si le côté « série addictive impossible à lâcher » est probablement dû à la présence de l’écrivain Mark Frost (auteur notamment d’un excellent prequel de Sherlock Holmes), le reste est de David Lynch sans l’ombre d’un doute : des séquences oniriques, la salle en rouge, l’Homme qui venait d’un autre endroit, les actions parfois absurdes de certains personnages, les délires tristes d’un Leland Palmer, les visions de l’enquêteur et de Mme Palmer, et surtout les petits détails qui font les grandes œuvres, les thématiques fortes de son œuvre entière, Twin Peaks est l’achèvement des premiers films de Lynch, Eraserhead, Elephant Man et surtout Blue Velvet qui fut presque un laboratoire, un terrain d’essai à l’élaboration d’un produit fou, encore jamais vu sur petit écran.
Un exemple, très simple, est celui le motif du double, de l’apparence et de la symétrie, mis en exergue dans une scène où Audrey Horne et Donna Hayward se retrouvent dans les toilettes du lycée. Qu’avons-nous là ? Deux adolescentes, brunes, coiffées similairement, chacune tenant dans la main un objet de même forme (un crayon de maquillage pour Donna, une cigarette pour Audrey), deux beautés se tenant devant un miroir qui renvoie donc une image tronquée d’elle-même (leur reflet physique, et non leur âme, celle que la Femme à la Bûche nous rappelle qu’elle se lit dans les yeux), Derrière elle les portes, identiques et blanches, des toilettes, le long desquelles ont distingue deux lignes rouges qui se rejoignent en son centre pour former un M, lettre parfaitement symétrique et symbolique : M pour Murder ? Pour Mystery ? On ne le saura jamais avec certitude, car là c’est à nous d’interpréter ; dès lors, Lynch a atteint son ambition : créer une série à la fois ludique, passionnante, mais travaillée, surchargée de symboles, toujours pour l’enrichir d’obsessions et d’une profondeur qu’il réserve d’habitude à ses propres films.
Ce qui relève du génial avec Twin Peaks, c’est cette propension, plus encore qu’à une simple mise en abyme, à l’auto-parodie, assumée et voulue, mais facilement acceptée par le spectateur, dans le sens où elle sert les évènements de la série, apportant un recul presqu’ironique sur eux. Cette auto-parodie c’est la récurrence, notamment, de Invitation to Love, une série archétypale au possible, raillant des feuilletons éternels comme Les Feux de l’Amour, et qui va se faire en quelque sorte le reflet des évènements de Twin Peaks. Un mari trompé est abattu par sa femme dans la réalité ? Un mari trompé est abattu dans Invitation to Love, non par sa femme mais par l’amant de celle-ci. En somme, une vision déformée de Twin Peaks, mais un peu comme pour nous rappeler que si la réalité et la fiction ne sauraient être totalement assimilées, elles se rejoignent souvent, notamment dans la tragédie. Ainsi Lynch et Frost, loin de porter un jugement de valeur sur les actes ou les pulsions de leurs personnages, un peu à la manière d’un Racine ou d’un Shakespeare, ils nous montrent ce que peut être la nature humaine quand elle est projetée hors de ses normes et de sa routine.
Twin Peaks c’est donc l’Histoire, la légende. Cette série relève du mythe. Tout e personne un tant soit peu intéressée par la télévision ou le cinéma connaît Twin Peaks, sans pour autant avoir vu la série ou le film. Juste parce que c’est Twin Peaks.