Comme tout le monde, j'avais été cueillie et séduite par Demain, de Cyril Dion, ce manifeste plein d'une énergie rafraichissante, à une époque ou le catastrophisme était de mise dans les documentaires sur l'état du monde. Ensuite, le réalisateur avait accentué un peu la pression avec Après-demain, exaspéré qu'il était par la lenteur de nos réactions, avant de se rendre compte qu'il pissait dans un violon. Cette série en 3 épisodes est sa réponse à l'inertie ambiante. Après chaque grosse mobilisation où tout le monde est Charlie, une victime de féminicide, un juge anticorruption ou un enfant noyé sur une plage, il faut bien admettre qu'on revient tous à nos petites affaires sans avoir entrepris la grande croisade qu'il aurait fallu pour prendre à bras le corps tous les problèmes qui minent nos sociétés et notre moral. Le monde d'après est toujours le monde de demain, en somme. Mais bon, Cyril Dion ne désarme pas et repart en campagne. Le premier épisode de sa série est catastrophiste, curieusement. Il se livre à un inventaire à la Pervers des ignominies auxquelles "nous" nous livrons (entendre les consommateurs et les électeurs qui continuent à consommer méchant et à élire bête), et nous assène les images qui secouent mais auxquelles on s'habitue à force de se les faire envoyer à la figure; visiblement, ça ne marche que modérément. L'inconfort est au rendez-vous, malgré tout, visant à préparer les épisodes 2 et 3 qui s'attachent à faire émerger des solutions. Sans trop mâcher ses mots (et ça, ça me semble plus utile que le torpillage en règle de mon moral avec des images de petites bêtes dépecées vivantes par des braconniers...), le réalisateur accable le capitalisme prédateur et cherche une solution politique au problème écologique. Je le rejoins volontiers sur cette conviction. Après, en rapprochant ses épisodes d'un film en Quechua que j'ai regardé concomitamment - Utama, la terre oubliée - je me dis également que nous ne nous laissons hypnotiser par le système des superprofits que parce qu'il y a en nous une faille essentielle : le patriarche paysan isolé en plein désert, loin de tout, survivant à la manière de ses ancêtres depuis le paléolithique avec son troupeau de lamas dans sa hutte aux fenêtres minuscules, n'est pas plus que nous à l'abri des tentations de l'autoritarisme et de l'abus de pouvoir, même s'il n'a que sa femme à opprimer, même par affection pour elle. Pour qu'un monde nouveau advienne, il faudra qu'un homme nouveau émerge, un homme dépouillé d'agressivité et d'esprit de compétition, qui ne soit plus rongé par la peur de manquer et la jalousie envers son voisin... Il faut que nous mutions tous en même temps et nous tournions résolument vers la coopération, en mettant dès aujourd'hui à l'index les tireurs de couverture à eux, les accapareurs, les tortionnaires, les vainqueurs, ces boulets de premiers de cordée et les destructeurs. Et ça, ça commence dès le berceau... Bref, on n'est pas sortis de l'auberge, mais des documentaires comme celui-ci montrent une voie possible, qu'ils rendent attrayante, et c'est déjà ça.