Finalement, qu'est-ce qui fait un être humain ? J'ai été tentée d'écrire "un être humain vraiment humain", mais la redondance n'est pas aussi anodine qu'elle en avait l'air... ça aurait voulu dire que je considérais que les autres, les inhumains, ne méritaient pas d'appartenir à la même espèce que nous. Or, déjà, rien ne démontre que je puisse me targuer d'être humaine dans tous les sens du terme, même si j'aimerais le penser, et rien ne prouve non plus que ceux qu'on regarde comme des monstres disparaissent de fait de la liste des membres de notre espèce. L'actualité semblerait nous démontrer le contraire : surgissent des barbares dès qu'on soulève une pierre, cligne des yeux ou tourne le dos deux secondes. Quand ils brandissent des drapeaux noirs à tête de mort, on sait tout de suite à qui on a affaire. Mais quand ils prennent l'apparence de doux dingues aux petites marottes anodines ou aux ambitions qui peuvent les faire passer des esprits pionniers et s'attirer la sympathie des curieux, c'est une autre histoire. Evidemment, dans ce documentaire en deux parties captivant, on se penche sur le cas quasiment d'école de l'un de ces derniers spécimens : un danois un peu illuminé qui construit lui-même ses propres fusées ou ses sous-marins, sans aucune aide publique. Une sorte d'Elon Musk à la petite semaine, sans succès planétaire et donc avec les dents moins longues. Et un rayon de nuisance éventuelle réduit. Tous les journalistes qui l'ont approchés ont été séduits par son caractère foutraque et intrépide, parce qu'il flattait en eux un certain appétit d'indépendance lié à l'exploitation effrénée de la technologie. Personne ne s'est méfié. Comme dans les cas de radicalisation, une petite musique lugubre peut s'emparer d'un esprit jusque là plutôt sain et l'attirer sur une pente savonneuse. Ça n'est qu'après un passage à l'acte aussi déjanté que maladroit qu'on s'est aperçu de la dérive d'un homme au demeurant plutôt sympathique... Les ordinateurs recèlent bien des petits secrets honteux, que la police ne découvre que trop tard. Il aura fallu qu'une femme de plus fasse les frais de la cruauté dissimulée de cet homme pour que ses penchants maléfiques apparaissent en pleine lumière. Une femme exemplaire, qui plus est, journaliste portant la voix des plus démunis, des anonymes et des humbles. Découpée en morceaux pour des motifs qui restent peu clairs : curiosité morbide, soif de domination, fascination de l'horreur ? Comment comprendre quand on essaie de se tenir à distance des tentations les plus viles ? Car c'est la croisée des chemins à laquelle se tient l'être humain, ce fameux libre arbitre dont résonnent les écrits sacrés depuis la nuit des temps : que faire de sa liberté de création ? Construire ou anéantir ? Dans les deux cas, nous exerçons notre pouvoir. Ce documentaire décortique admirablement le choix qui détermine chacun de nous, chaque jour. Que faire de son existence terrestre ? Un instrument de mort ou un chant d'harmonie sans fin ? Hein ? Je vous le demande...