Visitors
5.8
Visitors

Série Warner TV (2022)

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La vérité est plus ou moins dans le coin

Décidément, pas facile d'aborder le travail de Simon Astier. C'était déjà compliqué de tirer un bilan clair de Hero Corp, série en cinq saisons passée par tous les états possibles, capable de sommets remarquables comme de déroutes désolantes, qui donnait envie de la défendre (à moi en tout cas) tout en sachant que c'était un combat compliqué, loin d'être gagné.

Dès sa première saison, sa nouvelle création, Visitors, affiche les mêmes tiraillements qui vont finir, à force, par ressembler une signature. Il faut dire que les deux séries ont des points communs ; et si Visitors doit avoir au moins une vertu, c'est celle d'affirmer la signature de son auteur, certaines obsessions et marques de fabrique qui lui sont propres et qui commencent à faire oeuvre.

Première chose : on ne pourra pas reprocher à Simon Astier de ne pas tout faire pour défendre le cinéma de genre en France, dans un pays où il est traditionnellement mal vu à partir du moment où il est fabriqué entre les limites de l'Hexagone. Les délires démentiels du MCU, aucun problème puisque ce sont les Ricains qui les pondent. Par chez nous, dès qu'on titille les frontières du fantastique, c'est le début de la fin.

Biberonné à cet univers aux frontières du réel, le plus jeune des frères Astier a décidé de s'en moquer et se démène pour lui rendre hommage. Avec ses moyens, forcément faiblards, et ses propres limites qui, bien entendu, le laissent loin, très loin, de ces fameux modèles américains dont on ne peut que reconnaître le savoir-faire exemplaire et la supériorité.

Je parlais d'hommage, c'est peut-être l'une des premières faiblesses de Simon Astier. Après les super-héros boiteux de Hero Corp, Visitors investit le champ le plus traditionnel de la science-fiction : l'incursion des extra-terrestres sur la Terre. Bien entendu, les références s'accumulent, de V à X-Files en passant par Alien, Twin Peaks, et même une assez rigolote au vélo emblématique de E.T. Clins d'oeil amusants ou marqueurs incontournables dont le scénariste ne parvient pas à s'affranchir ? Difficile de trancher, en tout cas Astier met du temps à imposer son propre univers, comme encombré de ces références qui ont construit son imaginaire.

L'autre limite de Visitors, et celle-ci est beaucoup plus criante, c'est le manque de moyens pour élaborer l'univers visuel de la série. Tout fait cheap : les décors, limités et répétitifs, le manque de figurants (la ville paraît étrangement dépeuplée et sonne creux à l'écran), les costumes (les personnages sont toujours plus ou moins habillés de la même façon, ce qui permet de les identifier mais les prive d'une existence plus variée et donc plus profonde) et l'imaginaire des créatures extra-terrestres - qui, hormis des espèces d'araignées en caoutchouc, s'incarnent dans des acteurs humanoïdes dont la seule singularité est soit d'avoir les yeux tout noirs, soit de secréter de la bave verdâtre...

Ca pourrait faire gag, ça fait surtout pauvre. Tout comme le curieux choix de vouloir créer un cadre "américain" (type de ville, noms des personnages, véhicules...) avec une écriture aussi française, qui finit par donner l'impression d'errer dans un Québec du pauvre, pour un rendu pas vraiment heureux.

Néanmoins, Morgan S. Dalibert à la caméra (déjà exceptionnel dans Hero Corp) exploite largement son coup d'oeil et son talent pour déployer une image ambitieuse dès qu'il le peut, et les effets visuels ont globalement de la gueule, notamment dans les derniers épisodes. En tout cas, pour une série aussi fauchée, c'est plus qu'honnête.

On retrouve avec plaisir quelques habitués (Arnaud Joyet, Gérard Darier, Arnaud Tsamère, Alban Lenoir dans une apparition surprise très réjouissante), tandis que les nouveaux se mettent à l'unisson, avec une mention spéciale à Henri Guybet (oui oui !), très touchant dans son rôle de grand-père du héros, Damien Jouillerot fort émouvant aussi, David Marsais réjouissant en agent fédéral idiot, et Tiphaine Daviot qui se sort bien d'un rôle féminin pas évident au départ.

Si le casting de Visitors est plus homogène que celui de Hero Corp, qui souffrait de disparités d'interprétation parfois crispantes, les acteurs font le job, même si les limites de leurs personnages les empêchent de créer les étincelles qui dont la différence. Le cas le plus flagrant est sans doute celui de Vincent Desagnat, excellent acteur qui semble souvent sur la retenue ici, pas vraiment dirigé - un aspect qui, à l'inverse de son demi-frère Alexandre, ne paraît pas le point fort de Simon Astier.

Plus embêtant, on retrouve des attitudes et des directives de jeu qui ressemblent à des petites névroses personnelles : personnage hystérique (l'adjointe du chef de la police, qui crie "enculé !" à tout bout de champ, ça rappelle les éclats bruyants de Doug alias Sébastien Lalanne dans Hero Corp et on s'en lasse vite), couple à la dérive, investissement immature dans des amitiés de mecs incapables de grandir... On a déjà vu tout ça, ce qui laisse l'impression parfois gênante que Simon Astier n'a lui-même pas vraiment progressé, alors qu'il défendait précisément le final insatisfaisant de la saison 5 de Hero Corp par sa propre évolution personnelle.

Dernier point enfin, auquel je tiens : la musique. Etienne Forget avait largement contribué à grandir Hero Corp par ses partitions enlevées et consistantes ; Polérik Rouvière brille tout autant, avec des compositions électroniques amples, puissantes, qui lorgnent du côté du Mark Snow de X-Files ou du duo Dixon-Stein à la baguette pour Stranger Things.

Loin d'être un détail, cet habillage sonore fait beaucoup à mon sens pour sauver la crédibilité visuelle de Visitors, dont le scénario du reste prend de l'assurance au fil des épisodes, au point de couper cette première saison en deux : quatre premiers épisodes stéréotypés et plombés d'un humour potache pas vraiment assumé, qui laissent craindre le pire ; avant les quatre suivants, qui se débarrassent peu à peu de cette obligation d'être drôle au profit d'un récit plus mature, qui ose beaucoup plus en terme d'écriture.

Bizarrement, certains ici ont déploré le recours massif aux flashbacks, semblant accuser Simon Astier de céder à la facilité pour développer son intrigue ; alors même que son intrigue est logiquement lestée par son passé, et qu'il est indispensable de l'évoquer en détail. De plus, de nombreuses surprises s'y nichent, qui enrichissent certains personnages, à commencer par celui d'Astier, moins lisse et prévisible qu'on pouvait le craindre au départ.

A ce titre, j'ai trouvé spécialement réussis l'épisode 6, entièrement en flashback, et les épisodes 7 et 8 qui jouent d'allers-retours intelligents, voire savoureux.

Du bon, du moins bon, du qui laisse perplexe, Visitors est bien une série de Simon Astier, qui semble toujours sur le fil entre son envie d'assumer son héritage culturel et son souhait d'apporter sa propre pierre à l'édifice du genre.

Le dernier épisode se conclut sur un cliffhanger bien amené, qui pourrait faire office de conclusion (en forme de fin ouverte) si jamais la série ne connaît pas de suite, tout en donnant envie de savoir ce que Simon Astier pourrait créer en cas de reconduction. Pour ma part, je serai au rendez-vous d'une éventuelle saison 2, partagé entre circonspection et espoir. Un sentiment de plus en plus familier quand on aborde une création estampilllée Astier...

ElliottSyndrome
6
Écrit par

Créée

le 29 oct. 2022

Critique lue 187 fois

ElliottSyndrome

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