Westworld
7.6
Westworld

Série HBO (2016)

« La frénésie de consommation des produits les plus récents de la technique, (…) fait accepter la camelote la plus éculée et jouer le jeu de la stupidité programmée. Ne jamais se demander à quoi sert un produit, faire comme tout le monde, participer à la bousculade, voilà qui vient remplacer tant bien que mal les besoins rationnels. » déclarait Adorno dans son ouvrage Minima Moralia en 1951. Allez le dire aux téléspectateurs d’HBO, producteur de la série Game of Thrones, ou de celle qui est appelée à la remplacer, Westworld.


Produite par J.J. Abrams, réalisée par le couple Lisa Joy et Jonathan Nolan (qui n’est autre que le frère de Christopher Nolan), Westworld est une série d’anticipation aux airs de western. Adaptation du film Mondwest de Michael Crichton (1973), la série phare d’HBO se déroule dans un parc d’attraction futuriste, dans lequel les ‘invités’ payent cher pour venir se plonger dans l’époque du Far West du XIXe siècle. Cet univers virtuel est peuplé d’androïdes, qui s’évertuent à contenter les désirs et les fantasmes des humains – les ‘newcomers’. Ces robots agissent selon des scénarios créés par la société détenant le parc, et sont réinitialisés à la fin de chaque ‘loop’ (boucle narrative). La série semble s’inscrire dans une époque avancée, mais rien ne nous permet réellement de savoir quand ; le train menant au parc, et les bureaux de la société sont les seuls témoins de ce progrès scientifique issus d’une autre époque.


Les exemples de récits d’anticipation sont multiples – Hunger Games, Divergente, Real Humans – mais cette série à cela de plus qu’elle apparaît comme une mise en abyme, démontrant la toute-puissance de l’industrie de l’entertainment aujourd’hui. La société dystopique imaginée par Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes, de même que sa critique livrée par Adorno dans ses Prismes à l’esprit, nous pouvons tenter d’appréhender Westworld à travers ce filtre, celui de la domination de l’industrie culturelle sur les hommes notamment, en lien avec la vision d’une société futuriste.


Ce parc virtuel conçu par Lisa Joy et Jonathan Nolan est un lieu de divertissement, et accueille des visiteurs, venus vivre une expérience virtuelle – mais la plus réelle possible – dans laquelle tout est permis. Ces guests sont un peu le reflet de nos peurs, de nos angoisses et de nos fantasmes face au poids envahissant que prennent les nouvelles technologies dans notre société. Les humains viennent donc dans le parc pour assouvir leurs fantasmes les plus inavouables, sans en subir les conséquences – ils peuvent voler, tuer, violer tout en restant en sécurité, car les ‘hôtes’ ne peuvent les blesser. Ainsi, à la différence d’autres récits d’anticipation, cette société futuriste établie un lien très fort avec son passé, qui est un lieu où les individus viennent s’amuser, s’éloignant de leur société moderne pour ‘vivre’ à une époque lointaine, plus réelle – ce qui est ironique, car tout cet univers est factice. Ce parc aurait alors des fonctions cathartiques. Le meilleur des mondes décrit une société hostile aux éléments du passé, à la culture notamment – ils seraient des armes pour s’affranchir d’une instance dominante. Or ici, ce plongeon dans l’Ouest américain est justement une manière d’éliminer toute volonté de se rebeller dans la réalité : la société refuserait le viol et le meurtre, mais les autoriserait de manière virtuelle dans cet univers prévu à cet effet, pour que l’ordre règne dans le réel.


Aussi, cet univers pourrait être le reflet de notre société, habituée à la sérialité contemporaine, qui serait en quête d’autres choses. Quand Adorno déclarait dans Kulturindustrie que « s’amuser signifie toujours : ne penser à rien, oublier la souffrance même là où elle est montrée. Il s’agit, au fond, d’une forme d’impuissance », il blâmait l’industrie culturelle comme la créatrice de divertissements abrutissants, vecteurs d’une réification de l’individu. Ici, il semble que, dans la réalité comme dans la fiction, les hommes soient sollicités dans leur divertissement. C’est une véritable expérience qui est permise aux visiteurs du parc, qui deviennent acteurs de leurs divertissements – à l’inverse de ce qu’Adorno reprochait aux produits culturels. De notre côté de l’écran également, il s’agit d’une série à l’intrigue complexe, avec plusieurs niveaux n’analyse et de compréhension, qui se dévoile peu à peu au fil des épisodes, mais qui ne se laisse pas appréhender passivement. C’est d’ailleurs peu être la force de cette série : elle s’adresse à la masse, en ne la traitant pas comme telle ; chacun peut choisir son propre niveau de lecture et d’interprétation.


Ainsi, Westworld nous dévoile au fil des épisodes une complexe mise en abyme de ce qui pourrait être la Kulturindustrie et de sa domination dans notre société. Elle souligne le pouvoir de la fiction sur nos vies, en montrant les fils qui la construisent, tout en nous demandant de croire en elle. Il est intéressant de constater que nous n’avons en fait aucun contact avec la société dans laquelle à été élaboré le parc. Celle-ci ne se conçoit qu’en hypothèses, par opposition au parc (on peut imaginer ce qui pousse les hommes à se rendre dans un tel parc, etc). Tout se déroule dans le virtuel, autour du virtuel. La frontière entre réalité et fiction est donc parfois floue (Bernard Lowe, dont on apprend la vraie nature au milieu de la saison 1). Le réel se vit dans le virtuel – on se contente de réaliser ses rêves dans la fiction, pour ne pas déranger l’ordre établie dans la société réelle – cette idée d’immobilité sociale est au cœur de nombreux récits dystopiques. Aujourd’hui, les industries culturelles ont tendance à multiplier les séries d’anticipation, qui sont souvent le résultat d’un travail stéréotypé. Si le parc imaginé dans Westworld présente des scénarios types, des personnages clichés, il doit être vu comme le reflet de ce que produit la culture de masse aujourd’hui, mais la série elle-même devrait être une manière de mettre cette industrie en perspective.

Hedda-Garbo
8
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le 6 mars 2017

Critique lue 771 fois

6 j'aime

Hedda Garbo

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