Westworld
7.6
Westworld

Série HBO (2016)

Saison 1:


Très belle surprise que cette série aussi surprenante que excitante! Je ne sais si le nom de JJ Abrams sur le générique est un réel gage d’accointance entre cette première saison de Westworld et la richesse, la complexité, la profondeur des premières saisons de Lost. Ce lien, que je le veuille ou non, je ne peux m’empêcher de le constater, tout en en subodorant la probable invalidité. Pas uniquement par réflexe ou commandement inconscient, mais parce que Westworld partage objectivement de nombreux points communs avec Lost. Mais on pourrait tout aussi bien me rétorquer que ces points ne suffisent pas à faire de JJ Abrams le dénominateur commun. Du reste, il serait prématuré de ma part de vouloir au bout d’une seule saison comparer sérieusement la qualité d’écriture et des réflexions que suscitent les deux séries. C’est hélas toutefois très tentant, abusif, certes, mais tentant.


Beaucoup plus sûre est l'influence dans la maîtrise du concept et du récit de Jonathan Nolan qui chapeaute la série. Incontestable.


Westworld plonge les personnages dans un monde a priori ouvert, en réalité fermé ou l’inverse, résumons par “vastement clos” en se permettant un oxymore grossier. L’évolution des personnages est avant tout intime, une introspection qui déborde, qui va chercher les limites de tout le monde, et instaure même, n’ayons pas peur des mots, une quête métaphysique à proprement parler pour certains.


Et philosophiquement parlant, cette série pousse la précision de sa pensée et de ses influences beaucoup plus loin que Lost ne l’avait fait, me semble-t-il. Elle y va plus franchement. Les thèmes abordés convoquent les mânes littéraires aussi bien philosophiques, artistiques que mythologiques, ce qui enrichit d’autant la lecture et le plaisir à suivre le récit.


“Excitant” est le terme le plus juste pour décrire cette série qui anime la réflexion du spectateur avec intelligence et une continuité à la fois rassurante tout le long de la saison, mais également prometteuse pour l’avenir. Une belle écriture, dense, superbe même par ses audaces et cet admirable équilibre qu’elle maintient entre réflexion et action.


Questionnant l’identité humaine, l’évolution de l’intelligence artificielle est prométhéenne dans cette histoire. La science, la technologie éperonnent la notion même d’humanité. Qu’est-ce qui différencie l’humain de l’humanoïde ? A partir de quand une conscience peut-elle être considérée comme vivante, pas biologiquement mais ontologiquement, d’une nature autonome, ayant valeur “humaine” en quelque sorte? Passionnante interrogation que la série essaie au moins d’approcher. Et peu importe que la technologie soit actuellement très fictionnelle ; pour tout dire, on s’en fout, ce qui compte c’est que cette fiction pose ces questions.Les robots sont-ils ici de simples machines, qui n’agissent que sous des paramètres codés? En cherchant à définir si ces robots sont devenus humains, avec des symptômes mémoriels et autoproduits, bien entendu on est amené à réfléchir à la machine humaine, à essayer d’en distinguer les spécificités et d’en imaginer la réplication. Comment elle construit une conscience à partir du corps, de son expérience éprouvée, sensitive, pensée, analysée, mémorisée, un corps lui même codé, génétiquement cette fois. Disons que le parallèle se fait naturellement, même si l’on objectera que l’humain, justement, répond à des éléments et une progression bien plus complexes que sa seule conscience ne peut résumer, de même que l’humain n’est pas juste une combinaison matérielle. D’où vient l’âme? Est-elle produite par le corps et son expérience? D’aucuns s’appuient sur une entité supérieure qui résout toutes ces questions compliquées. D’autres préfèrent réfléchir sérieusement à ce concept d’âme, de conscience, d’humanité, choisissez le terme adéquat.


De ce point de départ, d’autres questions plus habituelles, mais non moins intéressantes, sont abordées sous cet angle, comme l’amour, le progrès, l’éternel dualité bien/mal, toutes notions centrales par ailleurs, mais qui émanent ici de la problématique principale, en corollaire par conséquent.


Westworld ratisse large donc, mais réussit à le faire avec suffisamment d’élégance pour qu’un certain équilibre soit toujours sauvegardé. Cela reste toujours tout à fait lisible malgré les prises de risque énormes que la série prend avec ce substrat intellectuel, métaphysique. Toutefois, il ne faudrait pas laisser supposer que la série promet l’emmerdement aux réfractaires de toute pensée un brin ambitieuse, en s’enlisant dans des situations trop complexes, ou des bavardages explicatifs abscons.


Bien au contraire, avec une forme de spectacle aujourd’hui très à la mode, la série s’oriente dès le départ sur un soin constant de réalisme, alors que les nouvelles technologies proposées sont très avancées et relèvent encore nettement de la science-fiction. La violence est formidablement bien mise en scène. Là encore, la série reste en équilibre sur un fil ténu. Juste assez, jamais trop. On n’est jamais dans l’exploitation continue d’une violence explosive, jamais dans le gore pour le gore. Elle est présente par à-coups, mais toujours justifiée par les détours de l’histoire. Spectaculaire, sans complaisance, porteuse de sens, la violence est magistralement un moteur qui confère à l’objectif réaliste une place prépondérante.


Jouant sur l’ambivalence western/anticipation, les contrastes sont appuyés par une très belle mise en image. La beauté, la variété des cadrages, des mouvements de caméras, la précision des effets spéciaux donnent à l’ensemble une image extrêmement sophistiquée, très classieuse. Entre la froideur clinique des laboratoires, dans l’envers du décor en quelque sorte, et la chaleur “roots”, violente des grands espaces naturels, la série danse un va-et-vient finalement très agréable.


Et tout à fait cohérent. Il faut insister sur la maîtrise de l’écriture des scenarii. Cette conduite du récit me paraît parfaite. Je ne vois aucun défaut : le rythme est excellent, jamais usant pour le spectateur. Tout est bien balancé, que ce soit en termes d’informations, d’action, d’émotions, de vitesses. On peut en dire tout autant de la distribution. Jamais la série ne tombe dans le piège du trop plein de personnages. Et pourtant, parfois j’ai cru qu’ils allaient nous perdre, mais les personnages secondaires ne prennent jamais trop d’importance en fin de compte.


Les personnages principaux sont formidablement incarnés. Il y a même là, comme il se doit pour une grande série, de très bons acteurs, dotés de rôles bien charnus, d’une belle complexité, riche de promesses psychologiques qui sont bel et bien tenues au cours de la saison.


Le jeu de Evan Rachel Wood est formidable. Je ne la connaissais que de nom. Elle m’impressionne, tant son personnage est hyper difficile à tenir. Et pour cause!


Jeffrey Wright est l’autre acteur vernis pour un personnage central : très intériorisé, il exige un travail très subtil, avare en effets, tout en nuances et une progression qui n’est pas sans éclat pourtant. J’aime beaucoup.


Anthony Hopkins est tout en ambiguïté. Clairement, on passe une longue partie de la saison à essayer de l’appréhender, d’en connaître la vérité. Avec son visage buriné, presque simiesque et ses deux petites billes bleu acier qui transpercent ce visage, le bougre est fascinant, à la fois inquiétant et impressionnant.


Thandie Newton est excellente. Je ne l’avais jamais vue comme cela. Jusqu’à présent, elle ne m’avait pas particulièrement marqué, ni en bien, ni en mal. Là, elle me stupéfie par la matière et l’extrême précision de son jeu. Surtout, la caméra reste très souvent attentive à ses expressions faciales, au moindre changement de composition. Étant une “hôte” à la mémoire de plus en plus vivante, ses états d’âme sont scrutés à la loupe par la caméra, laissant peu de place à la comédienne. Interdit de déborder, ça se verrait de suite. Elle risque à tout moment de tomber dans la grimace, ou l’effet de trop, l’excès expressif. Or, elle réussit la gageure d’être très sobre, tout en douceur apparente, la violence enfouie, elle impose son personnage, sa propre évolution au cours de la saison, tout en maintenant une crédibilité à ce parcours pourtant chaotique. Chapeau, madame!


Ed Harris est un autre acteur qui peut se prévaloir d’avoir un rôle casse-gueule, mais pour d’autres raisons : haut en couleurs noires, il fait figure d’ange de la mort, à la violence totalement libérée, gratuite peut-être, mystérieuse en tout cas, le parangon de la cruauté, du cynisme, obnubilé par un objectif très flou pour le téléspectateur, mais une obsession pour lui. Peu à peu, de ce personnage a priori tout d’un bloc, il parvient à laisser percer quelques lueurs. Fascinant, mêlant monstruosité et quête d’absolu, il installe un personnage très utile à la narration dans un récit complexe, un fil conducteur, au même titre que celui de Evan Rachel Wood sans doute. Ce n’est qu’à la toute fin que tout son périple fait sens.


C’est le cas également de Jimmi Simpson, un comédien aussi de plus en plus familier. Je le connais depuis son rôle farfelu dans “It’s always sunny in Philadelphia”. Que de chemin parcouru! Il fait la démonstration ici de toute l’étendue de sa palette. Voilà un acteur prometteur!


Entre les acteurs, les moyens considérables concédés à la mise en scène et en image et l’excellence scénaristique, on a là une première saison en tout point remarquable : du très haut niveau, du même acabit que les plus grandes. L’attente sur la saison 2 va donc être monumentale et périlleuse. Je me rappelle encore de manière très amère la frustration qu’a provoqué la saison 2 de True Detective.


Captures et trombi




Saison 2 :
Mon sentiment est mitigé sur cette deuxième saison. Ayant eu un gros coup de cœur pour la saison 1 et le formidable essaim de réflexions qu’elle avait engendré, j’ai été d’abord incommodé par l’évolution du personnage principal de Dolores (interprété par Evan Rachel Wood) et héroïne principale, centrale lors de cette première saison, même si Maeve (Thandie Newton) prend de l’importance aussi, mais plus progressivement.


Alors que Dolores passait la saison 1 à sortir de son aliénation, en même temps qu’elle découvrait son autonomie, sa conscience et donc son humanité, dès le début de cette deuxième saison, sur les deux ou trois premiers épisodes, son personnage apparaît très caricatural. Son schématisme radical est presque grotesque.


Il est en tout cas d’un manichéisme qui sert certes l’action, mais entre en contradiction avec le chemin parcouru jusque là, ou du moins en altère la portée. Ce que Dolores avait chèrement acquis, ce qu’elle avait projeté à travers sa psychologie tourmentée semble un peu effacé, mis aux rencards pour qu’elle incarne une figure ultra violente qui ne peut que décevoir. D’une certaine façon, on peut regretter que Dolores ait gardé une forme de sociopathie trop envahissante sur cette deuxième saison.


Par conséquent au bout du troisième épisode, j’étais particulièrement inquiet de la tournure des événements et craignait qu’on ait affaire à une trame très linéaire qui se résume à une bête guerre et hyper violente entre hommes et hôtes.


Toutefois, j’ai l’impression que le scénario donne un peu plus de nuances tout de même au personnage de Dolores dans la 2e partie, notamment dans sa relation à Ted (James Marsden) et à son père (Louis Herthum). Elle paraît à nouveau douée de sentiments et non plus comme un robot destructeur, monomaniaque et génocidaire.


Quoiqu’il en soit, cette rupture violente avec la saison 1 m’a fait craindre le pire : une unique trame pour ce personnage central et donc qu’une lassitude ne s’installe trop vite.


Fort heureusement, le parcours de Dolores a perdu peu à peu en importance au profit d’autres personnages, leur permettant de développer leurs propres trajectoires avec d’autant plus d’intensité et de précision.


D’autre part, de nouveaux personnages très intéressants ou bien chargés d’une poésie et d’émotions très puissantes viennent diversifier encore la trame principale. Même s’ils ne sont véritablement présents que sur deux ou trois épisodes, les échappées vers les mondes japonais ou amérindiens apportent de grandes vagues d’émotions rafraîchissantes.


A ce propos, l’apport de Zahn McClarnon, Rinko Kikuchi et Hiroyuki Sanada est immense. Ces comédiens vous cueillent par surprise et rendent de fait cette saison unique. Certains épisodes de la 2e moitié de saison sont incroyables de beauté. L’émotion vous prend aux tripes, alors que les sujets de réflexion si excitants jusqu’à maintenant semblent perdre de leur pertinence et de leur intensité.


Bien qu’on puisse avoir l’impression qu’on a fait le tour des questions métaphysiques ou plus généralement philosophiques avec cette saison 2, d’autres pistes peuvent encore laisser espérer de nouveaux champs plus vastes. La série est sur ce domaine tellement fertile que je reste optimiste pour la saison 3, malgré une évidente baisse de régime sur la deuxième saison. Affaire à suivre.


Captures et trombinoscope

Alligator
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le 29 mars 2017

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