La princesse de Brooklyn

Initialement sorti en tant que mixtape gratuite en 2016, Destiny Frasqueri (alias Princesse Nokia) a remasterisé le projet l'année d'après et ajouté huit nouvelles pistes pour lui donner le traitement complet d'un véritable album. À son crédit, c'est toujours une écoute cohérente, mélangeant des influences Trap avec une sensation Old School from New York pour rendre hommage à sa ville natale.

Après la mort de sa mère du sida, Nokia a fuit un foyer d'accueil malveillant, se débrouillant dehors et mettant son énergie à organiser des fêtes et à faire de la musique. Cela peut expliquer en parti, son intrépidité ressenti dans son rap. Son charisme et sa confiance nonchalante est un point central dans ce premier album.
Alors oui, elle avait déjà sévi sous l'alias de Wavy Spice, ainsi que sous son seul prénom. Elle avait sorti son premier titre en 2012, puis deux mixtapes, Metallic Butterfly et Honeysuckle, donnant autant dans un rap dur que dans du R&B, et avait côtoyé Ratking, groupe emblématique de ce type de hip-hop alternatif. L'un de ses membres, Wiki, le seul invité à rapper sur 1992, a d'ailleurs été son compagnon. Donc oui, elle avait déjà bien baroudé mais sa signature sur le label Indie Rough Trade et ses quelques concerts en Europe ont fait monté la sauce jusqu'à la sortie de ce fameux Deluxe qui pour beaucoup a été le moment précis de sa découverte.

1992 Deluxe c'est une voix cool et des rimes arrogantes. Ce qui frappe les esprits est le féminisme de la rappeuse. Il se traduit par des appels à la solidarité féminine et par le refus des canons de beauté, comme dans le passage le plus commenté de 1992, celui où elle affirme avec orgueil avoir des petits seins et un gros ventre. Il se manifeste aussi, voire surtout, par une appropriation subversive des postures machistes habituelles au rap. Elle rappe sur un mode agressif mais cool et utilise le vocabulaire de ses pairs masculins, jusqu'à dire plusieurs fois "S*ck my d*ck".
Beaucoup de titres sont simplement bons à écouter.
La complexité n'est pas nécessaire, Nokia le sait bien.

Avec des harmonies de synthé-heavy vaporwave sur "Bart Simpson", Destiny critique les garçons stupides (alias Bart Simpson) et les filles qui sortent avec.
"Tomboy" démarre avec un rythme frénétique et chargé, créant parfaitement l'ambiance de son agacement de la toxicité masculine sur un rap agressif.
Elle ne ménage aucun effort pour élever sa culture sur "Brujas". Ses barres orgueilleuses affirmant son passé apportent de la chaleur sur le soyeux rythme trap électro.
"I’m goth as fuck even when I’m not in black." est une ligne que l'on retrouve sur "Goth Kid", un titre sur son passé douloureux en famille d'accueil. Le bruit du vinyle et le rythme hypnotique pousse à l'introspection.
Même sentiment un peu plus tôt sur le jazzy "Green Line", New York se ressent admirablement dans ces moments là.
Et entre ces 2 titres, le superbe "ABCs Of New-York". Destiny montre un peu plus ses talents de rappeuse et réussi à peindre une image de la ville qui était la toile de fond de sa jeunesse.
Deux titres remarquables, "GOAT" et "Receipts" soulignent et confirment même la récente résurgence des rappeurs new-yorkais revenant à l'avant-garde du hip-hop avec leur son traditionnel, sans imiter celui du Sud. Les deux sont très Harlem et très vantards.
À la fin de l'album, Nokia revient avec 3 bangers enthousiastes "Flava", "Different" et "Chinese Slippers". Une ultime preuve qu'on ne peut vraiment encadrer la rappeuse dans un seul style Hip-Hop et met en valeur sa diversité.

En résumé, sur 1992, Nokia nous offre un récit de sa vie quotidienne documentant sa vie à Brooklyn. Cela fournit un contexte culturel à sa musique, juxtaposant des références typiquement new-yorkaises répandues dans le genre avec un fond d'Amérique centrale qui rappelle les origines jamaïcaines du hip hop.

La production de "1992..." a, on l'aura compris, des tendances "classique", utilisant des textures soul, des bruitages Old School mais utilise aussi les sonorités de la Trap avec des lignes de synthé brillantes, les hats typiques et les drums qui claquent.
1992 Deluxe permet à Princesse Nokia d'expérimenter sa polyvalence qui semble souvent sans direction mais grâce à son style autodidacte, affirmé et indépendant, le résultat reste franchement agréable et même parfois euphorisant.

7,5/10