En 2004, The Cure signait son premier opus chez Geffen. De leur collaboration avec Ross Robinson, dont beaucoup, et moi le premier, craignaient la disparition du "son Cure", naîtra finalement un album inspiré et à forte personnalité ; une sorte de renaissance, en lieu et place de cette mort annoncée à présent à chacune de leurs nouvelles aventures musicales.
Quatre ans plus tard (un rythme devenu habituel depuis "Wish"), c'est donc au tour de "4 :13 Dream" de venir rappeler que Robert Smith et sa bande sont bel et bien toujours en vie (les gens ont une fâcheuse tendance à l'oublier). Il s'est tout de même passé pas mal de choses depuis, la plus notable étant le renvoi de Perry Bamonte et Roger O'Donnell au profit du guitariste Porl Thompson, qui avait quitté le navire... Depuis "Wish", justement. Un bail. Et Thompson, avec son côté artiste débridé, aussi bien dans le look que dans le style de jeu, c'est un peu l'atout rock'n'roll que Smith recherchait compulsivement en ce début de millénaire, comme pour insuffler à son groupe, de manière un peu désespérée, une jeunesse qu'il n'avait plus. Une façon de dire : "nous aussi, nous sommes encore là, et nous pouvons être excitants !". Alors quoi ? Smith serait-il inquiet ? Toutes ces formations plus ou moins récentes (Placebo, Editors, Interpol, She Wants Revenge, la scène "emo"...) revendiquant une influence Cure notable auraient-elles fini par l'étouffer ? Toutes ses collaborations en tant que guest, foireuses pour la plupart, auraient-elles réveillé en lui une peur d'être statufié en tant qu'icône, observateur immobile et seul en haut de sa tour d'argent ? "4 : 13 Dream" n'est rien d'autre que cela : le rugissement d'un vieux lion qui ne veut pas mourir. Un peu comme Stallone dans le dernier Rocky. On le comprendra aisément, par exemple, avec "The scream" et "It's over", les derniers morceaux du disque.
Et pour se faire entendre, le vieux lion sort l'artillerie lourde, mais avec une maladresse à laquelle il ne nous avait guère habitués. Le plus gros du massacre a lieu derrière la console de mixage : passé à la production, et pourtant assisté de Keith Uddin, le leader des Cure, encore hanté par ses réflexes de chef de meute, bidouille ses morceaux plus qu'il ne les travaille vraiment. Englué jusqu'au cou dans le son cradingue de ses vieilles démos (éditions "deluxe" des anciens CD obligent), Smith semble tout bonnement oublier qu'il bosse sur un disque de 2008. L'atmosphère, brouillonne dans l'ensemble, agit comme une chape de plomb. C'est particulièrement flagrant sur "Underneath the stars", morceau magnifique, qui aurait pu être exceptionnel sans ce traitement douteux. Ce n'est donc pas Ross Robinson qu'il fallait craindre, mais contre toute attente, le principal concerné !
Et à part ça ? "4 :13 Dream", boosté par le retour de Thompson, devait, théoriquement, envoyer du bois. Au final, il se révèle timidement rock... Malgré l'excellente "Switch" (qui rappelle les belles heures de "Wish"), l'hendrixienne et gentiment sauvage "The real snow white", l'hypnotique "The scream" et la rageuse "It's over", on est loin des boulets de canon de 2004, j'ai nommé "Us or them" ou "Never". L'éclectisme prend même rapidement le dessus ; la pop l'emporte sur les trois-quarts du disque, parfois inspiré mélodiquement ("The reasons why" et "The hungry ghost", deux des plus réussies), ou, à l'inverse, encombré de titres désuets ou insipides ("Sirensong", et l'inénarrable "This. Here and now. With you", l'un des pires de leur carrière). On se demande comment Smith peut encore, avec son expérience, se tromper à ce point sur son tracklisting, surtout quand on possède des faces B comme "All kinds of stuff" et "Without you". Bref, de là à dire que "4 :13 Dream" est un peu son "Wild Mood Swings" des années 2000, il n'y a qu'un pas, que je m'empresse allègrement de franchir : tout aussi décousu et peu innovant, si ce n'est peut-être dans les textes. Et quand on sait à quel point le premier avait été mal accueilli, que dire de celui-là ?
On l'aura compris, ce n'est donc pas avec ce disque, l'un des moins bons de leur long parcours, que les Cure effraieront les petits nouveaux. Car c'est là la principale source de déception : après trente ans de bons et loyaux services, on attend forcément autre chose d'un tel groupe, quelque chose de plus sincère, de plus « sérieux ». Pas juste un album sympa. Oui, c'est ça, "4 :13 Dream" est sympa. Mais sans plus. Non, Robert, je ne suis pas en train de te demander un "Pornography" bis, je sais très bien que ce temps est révolu. Ce que j'aimerais, c'est que tu acceptes que ta jeunesse est derrière toi... Alors, le monde pourra enfin t'entendre rugir, VRAIMENT, une dernière fois... Et non pas faire semblant !