Le bruyant passage des Rallizes Dénudés dans l'Histoire du Rock fut autant remarquable pour les amateurs de psychédélisme amplifié ayant eu la chance de poser l'oreille dessus, qu'il fut discret pour le commun des mortels. En effet, si les Rallizes mirent de côté les opérations promotionnelles et les tubes entêtants, ils firent tout leur possible pour laisser une empreinte indélébile dans l'esprit des aventuriers qui se risqueraient à poser leur galette sur la platine, voire pour les plus chanceux, à aller les voir de visu. Nul besoin de prendre des pincettes lorsque l'on souhaite terrasser l'auditeur, et les Rallizes Dénudés voulaient frapper fort. Pour cela, l'utilisation de distorsion à outrance était une arme, l'amplification maximale en était une autre, l'étalage du son en longues nappes crasseuses et jusqu'au-boutisme en était de même.
Personae non gratae dans bien des endroits, eu égard à un penchant trop penché vers des idées d'extrême-gauche (le premier bassiste était d'ailleurs aux dernières nouvelles toujours réfugié en Corée du Nord pour avoir pris part à une prise d'otage lors d'un détournement d'avion en 1970), les Rallizes avaient à cœur de profiter de chaque occasion pour tenter d'enflammer les travées qui verraient leur passage.
Le seul élément permettant de s'accrocher à la Terre est cette basse répétitive et lourde, martelant héroïquement une rythmique indélébile que peine à imposer une batterie complètement noyée dans les vagues de son. Le reste n'est que question de bruit, les guitares, pourtant douces lors des premières notes, perdant petit à petit toute idée de mélodie, s'essayant à des envolées psychédéliques de toute beauté et comprenant enfin qu'elles sont là pour assommer les spectateurs, les compresser de tous côtés jusqu'à l'étouffement puis les laisser abandonnés, aplatis comme s'ils étaient le méchant de Roger Rabbit.
Il y a également cette voix, ce chanteur qui nous rappelle que la formation qui s'échine sur nos oreilles fait du rock psychédélique à la base, et qu'ils auraient presque pu marcher sur la voie de la notoriété aux côtés de leurs compatriotes du Flower Travellin' Band s'il n'avaient décidé d'être si intransigeants dans leur volonté de renverser les conventions. Curieuse voix en vérité, pas forcément agréable à l'oreille, couverte d'effets elle aussi, qui résonne au-dessus du brouillard et participe à l'élévation vers les territoires étranges et colorés qui étaient tellement en vogue à l'époque. Le voyage risque juste d'être un peu plus perturbé.
Les enregistrements nous parvenant aujourd'hui sont sales, saturent par moment, bande-son de fin du Monde où les fleurs hippies ne repousseront plus jamais. Le live '77 ne déroge pas à la règle : A la première écoute la qualité perturbe et la musique agresse, puis on comprend que tout cela est partie intégrante de la musique des Rallizes Dénudés. Au début de chaque morceau, quelques instants de répits permettent de retrouver ses esprits, puis la montée des eaux fait prendre la mesure de l'apocalypse à venir. Ensuite il est déjà trop tard. Tout dense que ce soit, ça s'écoute en bloc et sans concessions, et à fond. C'est oppressant mais c'est certainement comme cela qu'ils auraient aimé qu'on les écoute.
Définitivement noise avant tout le monde, d'une lourdeur encore effrayante aujourd'hui, avant-gardistes de génie, les Rallizes Dénudés ont laissé derrière eux une myriade d'enregistrements lives qui sont une joie à découvrir, pour peu que l'on s'accorde à perdre une heure de salubrité cérébrale, où les bootlegs n'ont pas une qualité de son forcément bien pire que celle des officiels, et qui s'éditent à l'envi ces derniers temps. La plupart est remarquable, mais ce live de 1977, c'est une apothéose.