ll y a deux façons d'écouter et d'apprécier le dernier album de Bowie.
On peut d'abord le considérer comme le 26ème album de son interprète, à juger à l'aune de ses devanciers, et s'inscrivant dans une lignée sans début ni fin. Ce qui permet d'en comparer les mérites, à en tancer les limites, à en souligner les contours plus ou moins objectifs.
L'autre façon d'aborder ce disque immédiatement posthume (et peut-on faire semblant de faire autrement ?) est de le découvrir comme un chant du cygne forcément un peu déchirant, un message de l'au-delà, sorte de post-scriptum céleste venu d'un des plus grands artistes musicaux de ces 50 dernières années.
Une écoute forcément sublimée.
En tout état de cause, presque tout Bowie est contenu dans Blackstar.
Cette tendance à une forme d'expérimentation que l'on rapprochera évidemment de sa trilogie Berlinoise ou de ses fulgurances Outsidiennes. Ce goût pour l'incorporation de sonorités jazzy (dans ses rythmes, dans l'utilisation de saxos volontiers dissonants) rock-jazz à milles lieues des aberrations du jazz-rock, présent depuis au moins Aladdin Sane, jusqu'à Black Tie White Noise. Une recherche de mise en place sonore qui fut la marque de fabrique du Londonien depuis ses débuts, lorgnant ici du côté de la SF aux accents Daliens (comment ne pas avoir de liens, dans certains décors au moins, entre le clip du souvent mal-aimé loving the alien et le dernier black Star ?)
Voici donc une série de vignettes sonores tour à tour lancinantes Girl Love Me, nostalgiques Dollar days, ou prophétiques I can't give everything (… away), down tempo vaguement bluesy Lazarus, libres et légères 'Tis a pity she was a whore ou simplement à inscrire dans la grande lignée de ses classiques blackstar. Une salve finale forcément trop courte, dont on regrette même le seul point faible Sue, et dont on aurait surtout aimé qu'elle se fonde dans un collectif plus vaste.
L'essentiel, finalement, au delà des notes et de l'enchainement des morceaux, autour des compos et de leurs arrangements savants, est bien que flotte partout sur ce disque testament l'identité profonde d'un artiste si singulier, toujours innovant malgré un style reconnaissable entre tous. Avec cette personnalité rarissime, soulignée par ce dernier geste artistique inattendu en forme d'étoile noire, et une dernière photo tout aussi surprenante. Une personnalité forcément jamais parfaitement cernée, à la fois protéïforme et simple, chaleureuse et lointaine, un dandisme rieur à la sexualité floue, échappant à la complexité de presque tous les portraits qui en ont été dressés, qui a définitivement achevé de nous perdre, à des hauteurs que si peu, véritablement, ne sauront jamais atteindre.