Pour se forger une culture, c'est pas mal de naître et de grandir à New York. Notamment à Brooklyn, où tant de nationalités et de cultures se retrouvent.
C'est encore plus vrai quand ses parents Cubains baignent dans la musique. Avoir une mère pianiste et DJ, un père producteur et président de label, ça doit permettre de brasser pas mal de musiciens et de disques.
Ce qu'on peut dire, c'est que Chico Mann ne s'est pas complètement émancipé en réaction à ses parents, et heureusement pour nous. Passé par le hip-hop et le break dance, notre homme se recentre bientôt sur le clavier et la guitare. Mais alors que ses parents donnent plutôt dans le merengue, lui choisi d'intégrer le groupe Antibalas Afrobeat Orchestra, qui, comme son nom l'indique, est plus porté sur l'œuvre de Fela Kuti que sur la musique cubaine.
Parallèlement aux 4 albums sortis par le collectif New Yorkais, Chico Mann commence à vouloir se la jouer un peu plus perso, en sortant 3 albums confidentiels (mais pas introuvables, certains étant disponibles sur itunes, notamment) sous les titres de Manifest Tone, vol. 1, 2 et 3. Sans être des disques aussi aboutis que cet Analog Drift, ils renferment quand même des morceaux vraiment excellent (en particulier Zumba Mama et Luz, sur le vol. 3). C'est surtout qu'on sent poindre petit à petit un truc très intéressant : l'intégration progressive du merengue et de la musique cubaine à une base toujours portée sur l'afrobeat.
C'est pourtant en changeant de label (passant de Kindred Spirit à Wax Poetics) que Chico Mann se décide à aller vraiment au bout de ses idées.
Le résultat se trouve sous la forme de cet album Analog Drift, sorti en 2010. Ici encore, l'afrobeat est omniprésent et doit à nouveau cohabiter avec des influences latino-américaines très prononcées. Sauf qu'ici, il faut ajouter des synthé qu'on pourrait croire tout droit sortis d'un club de Miami dans les années 80, et des rythmes imprimés par une boite à rythme qu'on jurerait prise en main par Afrika Bambaataa pour avoir une idée du résultat.
En même temps, ça ne sert à rien de se creuser la tête, cet album de Chico Mann ne ressemble à strictement rien que je ne connaisse. On peut bien entendu déceler des influences, voire des références (il ose même une reprise des Talking Heads), mais le produit final est éminemment personnel. Il faut dire qu'à quelques exceptions près, Chico Mann fait tout sur son album. Ce qui est assez fort, quand on voit le nombre de couches qu'il superpose, entre les percu traditionnelles, les boîtes à rythmes, les nappes de synthétiseur, les mélodies jouées au clavier, ainsi qu'une bonne partie des basses, la guitare rythmique (qui est bien souvent la plus forte marque de l'afrobeat), la guitare solo, et les superpositions de chants.
D'ailleurs, à la différence des précédents albums, Chico Mann donne de la voix sur tous les titres, tantôt en anglais, tantôt en espagnol. Et c'est peu dire que ses mélodies touchent justes à chaque fois. Elles sont toujours simples, mais pas simplistes, et une fois qu'on les a entendues, il est difficile de s'en défaire.
D'autant que les textes sont, eux aussi, très simples, et que, quelle que soit la langue, les paroles sont faciles à identifier et à chantonner. C'est simple, on est littéralement pris par le chant de Chico Mann. Il n'est pourtant pas technique, il n'a pas la qualité vocale d'un Bilal, la présence d'un Fela, ou l'humanité d'un Compay Segundo. Mais il a par contre une parfaite adéquation entre son chant et sa production musicale. Ca tient peut être au traitement qu'il applique à sa voix presque tout au long de l'album. Une sorte de reverb, qui donne l'impression que sa voix n'est pas un élément au dessus des autres, mais un élément qui s'ajoute à la qualité musicale de l'ensemble. Comme si, peut importe le message, il fallait avant tout que le messager (la musique, en l'occurrence) touche juste.
J'ai sans doute du mal à retranscrire le bouillonnement qui ressort de l'écoute de ce disque. On pourrait croire à un gros fourre-tout boursouflé par trop d'intentions, trop d'énergie, trop de choses à vouloir dire. Mais ce serait oublier que cette album n'est pas un premier album, et que Chico Mann a su se montrer patient avant de sortir cet album, qui représente, pour moi, un des meilleurs sons entendus depuis longtemps.
Alors voilà. Je n'ai pas grandi à Brooklyn (si seulement...), je n'ai pas eu des parents musiciens, mais grâce à internet j'essaie de remettre ma culture à jour. Ca me permet, parfois, de tomber sur des surprises comme celle-là.