Earth officie depuis des années dans un registre particulier qui est celui de la lenteur poussée à son paroxysme. Cela s’appelle le drone et finalement ce genre tient plus de l’expérimentation sonore que de la recherche mélodique (cf. les désormais chefs de file Sunn O)))). En ce sens on pourrait d’abord penser qu’Angels of Darkness, Demons of Light II est un disque de drone étonnement accessible dans la mesure où le groupe a fait le choix de conserver d‘une part la base instrumentale traditionnelle et rassurante du rock, les éternelles guitare, basse, batterie, et d’autre part des squelettes de mélodies. Malheureusement, malgré cet abord simple, Angels of Darkness, Demons of Light II est un disque assez laborieux, dans lequel extrêmes limites et limites extrêmes se côtoient sans jamais trouver une réelle osmose.

Les extrêmes ce sont bien sûr les partis pris en matière de tempo et de longueur des morceaux, comme leur contenu, basé sur la répétition, presque sans variations, d’un même thème. Ainsi chaque titre tourne autour des dix minutes et déroule nonchalamment (c’est un euphémisme) son motif musical minimaliste. La langueur peut être fascinante lorsqu’elle soutient une mélodie imparable, jouée à différentes intensités (Low sait faire cela très bien), lorsqu’elle rend palpable une atmosphère typée, prégnante (Godspeed You ! Black Emperor) ou lorsqu’elle est portée par des sons étranges ou captivants (2Kilos & More). Et on ne trouve rien de tout cela dans cet album d’Earth si ce n’est une certaine force tranquille, mais qui ne tient que quelques minutes, les premières. Parce que ces minutes peuvent faire office d’introduction agréable à ce monde dont on saisit très (trop ?) vite les enjeux. Et si on doit reconnaître qu’en écoutant distraitement Angels of Darkness, Demons of Light II il se dégage une certaine quiétude, et que l’on peut même se sentir saisi par une forme d’apaisement régénérateur, pour peu que l’on concentre toute son attention sur les compositions, cela devient très vite fastidieux.

Il faut dire que dans un genre musical aussi précis, les exigences en matière de son doivent être particulièrement élevées. Sans cette exigence on peut en effet très vite penser que le groupe se complaît à rester dans une formule un peu facile. Autrement dit, dès lors que l’on est dans le domaine expérimental, le son revêt un aspect capital, qui fait que l’on est captivé ou au contraire trop vite en terrain connu et qu’on cherche alors à quitter. Par exemple, récemment, Dolphins into the Future est parvenu, sans surenchère d’effets, à nous dérouter et nous hypnotiser par des sonorités totalement inattendues, relatifs au monde marin. Ici les musiciens ont choisi un dépouillement ascétique dans lequel distorsions, effets et instruments synthétiques sont délibérément absents. Ce sont les limites que se sont posées Dylan Carlson et sa bande et personne ne peut contester ces choix, d’autant moins que ce sont les pionniers du drone. Mais elles ne semblent malheureusement pas en adéquation avec l’extrémisme formel dans lequel Earth s’enfonce tête baissée pendant ces longues plages instrumentales, que d’aucuns jugeront d’ailleurs interminables. Comme si l’aspect expérimental du projet se retrouvait en définitive annihilé par la troublante banalité de ces arpèges neutres, de cette rythmique fatiguée et de ces cordes atones. En d’autres termes, on a la sensation que le jeu des musiciens aurait pu être intense, quand il ne semble que désespérément apathique.

Dans le cas d’Angels of Darkness, Demons of Light II on peut donc se demander de quoi l’auditeur peut se réjouir. Car à moins d’être dans un état de zenitude absolue ou parfaitement stone, écouter ce disque d’une traite est franchement rébarbatif ; la bizarrerie de ce projet abscons, a priori ambitieux, étant réduite à néant par le simplisme de son traitement.

Francois-Corda
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le 2 janv. 2019

Modifiée

le 11 juin 2024

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François Lam

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