En interview dans le numéro d’avril de Mad Movies, Alex Garland se réclame d’un cinéma adulte qui ne donnerait pas toutes les clés de compréhension aux spectateurs, à l’instar du récent Anatomie d’une chute. Les préoccupations philosophico-sociétales de ses trois premiers films vont dans ce sens et à défaut d’avoir su, jusqu’à présent, créer une œuvre cinématographiquement cohérente (difficile, à ce jour, de distinguer une patte de metteur en scène chez Garland ou un fil rouge esthétique et/ou narratif), on doit reconnaître au natif de Londres un ancrage de ses longs-métrages dans une actualité plus ou moins brûlante (l’IA avec Ex machina, qui est à ce jour, de loin, son meilleur film, écologie avec Annihilation, et féminisme avec Men).
Il est donc très surprenant de constater à quel point Civil War est vide de contenu politique, et semble à plusieurs reprises se disculper d’une quelconque prise de position, à la façon d’un joueur de football levant les bras au ciel pour signifier que, s’il y a faute, il n’y est pour rien. C’est regrettable car le contexte bouillant des prochaines élections américaines (que certains commentateurs n’hésitent pas à qualifier de climat propice à une prochaine guerre civile) aurait été un formidable catalyseur pour Civil War.
Mais à force de noyer son conflit dans une eau grise (qui sont les forces de l’ouest ? qui sont les miliciens pro-gouvernementaux ? qui combat qui et quoi ?), ce n’est plus au petit jeu de l’interprétation équivoque façon Justine Triet que nous convie Garland mais à une analyse macroniste et condescendante consistant à mettre dos à dos deux extrêmes en s’en lavant les mains. Symboliquement, le seul héros du film (tous les personnages étant plus détestables les uns que les autres), Sammy (comme l’oncle Sam ?), empereur du milieu (sa présence physique et son expérience en imposent), raisonnable et censé, se sacrifie pour sauver une bande de journalistes de guerre sans foi ni loi, sauf celles de satisfaire (cochez à votre convenance) leur ego/adrénaline/scoop/pulsions de mort. Caricatural à l’égard du journalisme, pleutre dès qu’il s’agit de se positionner face à la fracture politique actuelle aux Etats-Unis, Civil War fait bien pâle figure face au monstre que demeure Full Metal Jacket.
Une fois la problématique du fond évoquée, reste celle de la forme. Paradoxalement, ce ne sont pas les scènes d’action de Civil War qui nous cramponnent à notre fauteuil, mais plus sûrement ces moments de calme apparent : la patience de deux soldats attendant leur proie, la montée d’un escalier pour venir à bout d’un sniper, et puis, bien sûr, cette discussion ubuesque menée à bout de fusil par un Jesse Plemons absolument glaçant. Pour le reste, rien qui n’ait déjà été vu, en mieux (on pense notamment au très sous-estimé Diary of the Dead de Georges Romero, de par son traitement du journalisme via un road movie). Au final, Civil War est à peu près aussi sommaire que son exécution finale.