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Bandeira de Aço
Bandeira de Aço

Album de Papete (1978)

Le Brésil a beau être un pays immense, la grande majorité de la production musicale vient de seulement quelques États. C’est le cas aujourd’hui et c’était encore plus le cas il y a quelques décennies quand labels, radios, télévisions et presse étaient concentrés à Rio de Janeiro et São Paulo. Mais cette concentration ne signifie bien sûr pas que le reste du Brésil ne produit pas de musique. C’est simplement que cette dernière est méconnue et souvent méprisée comme provinciale ou folklorique.


C’est dans ce contexte que le paulista Marcus Pereira, fondateur du label indépendant qui porte son nom, a entrepris au début des années 1970 de documenter les richesses musicales de cet autre Brésil. Une démarche qui aboutit à 16 importantes compilations qui forment une carte musicale du pays. Une carte où, sur les disques consacrés à la Música Popular do Norte apparaît le Maranhão, un petit État situé tout au nord du Nordeste.


C’est un musicien nommé Papete qui sert de guide à Marcus Pereira pour la découverte des musiques de son Maranhão natal. Ce dernier enregistre d’ailleurs quelques morceaux de Bumba-meu-boi pour les anthologie de Marcus Pereira.


Le bumba-meu-boi, ou boi-bumbá, est une fête très importante dans le Maranhão. Elle met en scène une drôle de légende sur un riche fermier qui possède un taureau de race. Dans sa fazenda, travaillent Pai Chico, sa femme Catarina, des indiens et des caboclos. Catarina est enceinte et est prise un jour d’une très forte envie de manger de la langue de bœuf. Craignant pour la grossesse de sa femme, Chico vole le taureau de son patron. Le maître furieux envoie les indiens et caboclos à sa recherche et Pai Chico est finalement arrêté. Le bœuf meurt mais un « vétérinaire » est appelé, qui parvient à ressusciter le bœuf qui se met alors à danser. Le bœuf, pas le vétérinaire. Et à la fin, le maître pardonne Pai Chico.


Quand il rencontre Marcus Pereira, Papete a quitté le Maranhão pour São Paulo depuis quelques années, où il a pu découvrir bien d’autres musiques plus chics et branchées que le bumba-meu-boi. Pourtant, après un premier album assez expérimental consacré aux percussions et au berimbau, il souhaite divulguer avec son second disque Bandeira de Aço, la musique de São Luis, capitale du Maranhão. Plus que les classiques de bumba-meu-boi dont les auteurs ont souvent été oubliés depuis longtemps, Papete souhaite chanter les compositeurs bien vivants. Des artistes de São Luis aux marges de l’industrie musicale qui n’ont alors jamais encore eu l’occasion de voir leurs compositions enregistrées.


Laissons Papete présenter lui-même ces compositeurs avec une traduction d’un extrait du texte qu’il signe au dos du vinyle:


« Carlos Cesar, Josias, Sergio Habibbe, Cristavão, Ronaldo, Sinho, sont des compositeurs de São Luis de Maranhão qui s’inspirent de la culture populaire. Mais comme la culture populaire de notre pays est encore synonyme de chose « pittoresque », ils se battent comme le doivent les architectes des grands changements, en silence, jusqu’à qu’arrive la chance que quelqu’un les voit, les entende et les écoute, et fasse ce qui devrait être fait en faveur de tous ceux qui luttent pour notre art « les rendre connus et aimés de notre peuple ».


Carlos César est un mélange d’Indien méfiant, de Noir au sang chaud et de Blanc intellectuel. Ses chansons sont la traduction des problèmes des siens qui se reflètent en lui. Il est intéressé par le folklore et en même temps par les inquiétudes d’une classe moyenne atrophiée par la peur de définir sa position. Flor do mal et Bandeira de aço en témoignent.


Josias est à première vue un homme sans attache. Je confesse que j’ai rarement senti une émotion si forte en écoutant quelqu’un jouer et chanter. Tant de sensibilité, mon dieu ! Né dans l’intérieur du Maranhão, il apporte avec lui toute l’âme du caboclo qui est inondée de mélodie, de rythme et de fête. A écouter Engenho da flores, on sent déjà tout ça.


Ronaldo est purement intellectuel. Doté d’une formation universitaire, il présente les choses d’une manière plus synthétique, fermée, ce qui n’entache en aucune manière la pureté de ses intentions poétiques quand il dit les choses qu’il pense et ressent. Selon Marcus Pereira, Negâ Catirina est d’une telle force que bien comprise, elle peut faire pleurer.


Sergio Habibbe ressemble à Ronaldo avec un langage plus ouvert, plus simple. Eulalia est sans aucun doute son chef d’œuvre dont se détache le vers « pra dormir nesse pais, que não amanhece, nem acorda com meu boi ».


Si Bandeira de Aço n’est pas du bumba-meu-boi stricto-sensu, la plupart des titres font bien référence à cette fête. Papete, percussionniste avant tout, puise dans les percussions typiques du boi-bumba : tambour zabumba, matraca (crécelle), pandeiro (tambourin), chocalho, tambour onça. On trouve aussi du triangle, du coquinho (noix de coco) de l’agôgo et des atabaques. Il assure lui-même le chant et la guitare et s’accompagne de Carlão (guitare de 12 cordes), Otacílio (contrebasse), Sérgio Mineiro et Márcio Werneck (flûte).


L’album est enregistré à São Paulo et sort en 1978. L’année même où l’autre grand modernisateur de la musique du Maranhão, le bien nommé Chico Maranhão publie Lances de Agora, également publié par Discos Marcus Pereira. Bandeira de Aço sera à l’époque la meilleure vente de l’histoire pour un disque du Maranhão. Mais le succès reste bien relatif, puisque seuls 5 000 disques auraient été vendus. Papete a beau être le meilleur ambassadeur de la musique de sa région, lui ni d’ailleurs aucun autres musiciens maranhenses n’auront malheureusement l’écho qu’ont pu avoir par exemple Milton Nascimento et Lô borges du Minas Gerais. Il s’agit pourtant de la même démarche : s’inscrire dans des genres traditionnels mais avec un regard contemporain, partir du local mais avec une visée universelle ; puiser dans le passé et dans le local pour créer quelque chose de neuf qui peut parler à tous.


C’est lors d’un voyage aux États-Unis que le Nigérian Fela Kuti a eu le déclic pour créer l’afrofeat. C’est installé à Rio que le Pernambucano Luiz Gonzaga a créé le baião. De la même manière, Papete devait sans doute quitter sa région natale pour mieux savoir la chanter. Car au delà de la beauté des compositions, de la modernité des arrangements, Bandeira de Aço est peut-être avant tout la plus belle déclaration d’amour faite à la musique du Maranhão.

Boebis
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le 6 janv. 2024

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