Après une année 1982 et une tournée triomphales, ABC retournent à Sheffield, où règne chômage et héroïne. Alors que les autres groupes commencent à copier leur style, leur maison de disque souhaitent au moins 5 Lexicon of Love de plus. Se détacher des imitateurs, l'envie de ne pas se répéter et une conscience sociale récemment acquise : autant d'éléments qui poussent ABC à signer leur suicide commercial. Car si Lexicon Of Love est culte, Beauty Stab l'est devenu aussi pour des raisons contraires et négatives.
D'après Martin Fry, « C'est un album de protestation. Nous avions l'écran large en technicolor avec “Lexicon”, maintenant, retour à Sheffield avec un documentaire en noir et blanc ». Ils voulaient sonner comme Gang Of Four (alors que ces derniers essayaient de sonner comme ABC et loupèrent le coche également avec « Hard » ). Les paroles sur Beauty Stab sont alors plus politiques, même s'ils sonnent peu crédibles (difficile d'avaler leur critique du culte de l'argent quand eux-mêmes s'habillaient façon Las Vegas sur leur tournée il y a moins d'un an) et les jeux de mots de Martin qui fonctionnaient sur « Lexicon » sentent déjà le réchauffé.
Quand à la musique, le son est bien plus dépouillé, minimaliste et conduit maintenant par la guitare électrique. Good Bye, Symphonie ! Bien qu'un orchestre symphonique les accompagne sur « By Default, By Design », même s'il s'agit d'un des meilleurs morceaux de cette galette, il donne une sacrée impression de vide. Il faut dire qu'il doit être difficile de passer après Trevor Horn ! De son équipe, seul l'ingénieur du son Gary Langan a co-produit cet album avec ABC. La patte rock dans son ensemble paraît étrangement daté et il ne reste plus rien de funky là-dedans.
Le premier single « That was then, this is now » qui ouvre l'album reprend pourtant, comme pour nous embobiner, des synthés et des gimmicks de Lexicon, tout comme le dansant « Unzip », mais c'est là ce qu'il y a de plus pop sur Beauty Stab… On me chuchote à l'oreille qu’ « SOS » est également une ballade pop mais je la trouve extraordinairement poussive, du mixage de la voix de la chanteuse aux « Pa-pa-palalala-pa » de fin en passant par le solo de sax… peut-être la pièce la plus incohérente de l'album. Outre deux, trois riffs, je pourrai difficilement vous parler du reste tellement il m'est passé à côté.
Nous ne sommes plus là dans de la Synthpop mais dans ce côté Punk du Post-Punk, aussi bien musicalement que dans l'acte de revirement. Si je salue cet acte courageux (ou stupide, comme le jugeraient d'autres) pour un second album après un succès commercial, je salue moins la musique qui comme la pochette de l'album, ne semble pas savoir où aller. Les fans ressentirent aussi cette confusion et Beauty Stab ne se plaça pas plus loin que 12ème dans les charts anglaises. Et comble du comble, un des trois membres, Stephen Singleton, quitta le groupe juste après sa promotion.
En moins de deux ans, ils ont réussi à surgir des abîmes pour atteindre le sommet puis replonger juste après dans des abîmes différentes. Bravo ABC !
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