Je sais que j’ai raté ma vie car je n’ai pas été président de la République avant mes quarante ans. Figure toi que je n’ai pas de Rolex non plus.
C’est un fait.
J’avais déjà raté mon arrivée sur cette putain de planète en naissant à la Pitié-Salpétrière lors du premier choc pétrolier dont, je le répète ici, je n’étais pas responsable.
J’ai commencé à perdre mes cheveux alors que je ne jurais que par eux ou presque. Ils descendaient en cascades, en grappes sombres sur mes épaules de pourceau métalleux.
Ces temps oublieux où j’arborais comme cuirasse, l’hiver comme l’été, mon t-shirt préféré de Megadeth.
J’ai pas mal foiré mon passage à l’âge adulte car j’ai eu une Opel Kadett en adamantium comme première voiture.
Elle était noire avec une bande dorée tout autour, on aurait dit un footballeur du PSG, et elle pesait plus lourd qu’un char. Je le sais, je l’ai poussée davantage que conduite.
Je me demande si c’est pas elle qui m’a eu, d’ailleurs.
Le grand-père de mon grand-père, Takfarinas, qui ricochait comme un con dans ses montagnes berbères, la bistouquette à la main, juste avant qu’il n’enlève la grand-mère de ma grand-mère Aïcha à son clan pour lui jouer de la flûte et lui faire la sexualité, s’arrêtait-il parfois pour regarder le ciel, les nuages ou suivre un putain de papillon ?
Amazigh.
Et la mémé de ma mémé, Suzon, elle qui faisait ses bocaux de rillettes de contrebande quand les schleus croyaient avoir annexé notre bled, avant qu’elle tape dans l’œil du pépé de mon pépé, Barnabé, laissait-elle tomber sa robe à froufrous pour danser nue, le sein lourd, dans les champs de sarrasin en fleurs ?
Libre.
Moi, je voulais être un cow-boy. Être tout seul avec mon cheval, un chapeau crasseux sur la caboche pour pas cramer.
Un mec recherché plutôt mort que vif. Et puis me laver tout habillé.
Avoir la nuit de mon côté, la lune énorme, les belles étoiles et un canasson qui s’essouffle pas des déserts et des plaines à perte de vue. Ne pas attendre que les brumes du matin se dissipent, galoper. Oublier les rires du malin, ce coyote nyctalope, qui m’ont empêché de fermer l’œil et me poursuivent depuis lors en chantant dans ma tête.
Les dents pourries de chique, l’haleine de puma prête à tuer le dernier des mohicans, sec comme un coup de trique, juste la p’tite bedaine qui va bien, entretenue par mon ragoût au lard quotidien.
Je voulais chanter comme Otis, toujours classieux, harnaché dans mon costard, l’afro à angles droits, alors que perle sur ma peau, en diamants éphémères, toute la sueur de mon corps.
Faire danser les hommes, faire danser les enfants, les insectes et même les femmes.
Ou comme Tom, laisser mon âme gonflée de bourbon s’échapper en beuglant. Dégobiller mes maux, les laisser suinter l’indécence, les peines et s’évanouir en libellule chargée d’alcool.
Comme Freddie, déposer la concurrence, vocale ou vestimentaire.
Sur mon cloaque de ratiches pas toutes pareilles au garde à vous, déposer une moustache.
Taraudé par le désir absolu de perfection, laisser les notes bohémiennes s’emparer de ma carcasse poilue.
Être doux dans la tempête, bestial dans la paix.
D’ailleurs, je me souviens que jadis, j’avais monté un groupe à la va-vite avec du menu fretin, groupe dans lequel j’essayais d’exceller à la batterie (avant de me décider pour un vrai instrument : ma zigounette)
On reprenait Bohemian Rhapsody proprement.
Je voulais écrire comme Tonton George ou Tata Serge.
Je voulais être un samouraï, être Sambora à Moscou en 1989, enterrer Jon Bonjovi en hurlant «Wanteeeeeeed», être un troubadour jovial mais un peu mélancolique aussi.
Je voulais exorciser les fantômes d’une que j’aimais en chantant des poèmes grivois. Claquer les mots des fleurs dans ma guitare et du miel sur mon joli timbre.
Je pense à la fille du calife, celle qui m’a fait tourner la tête pour la taper contre le mur.
À mon chien Poutchie, toi qui m’écoutais sans jamais geindre, qui me manque même s’il m’avait un soir de folie malinoise boulotté un douze de chonchon. J’ai la rancune fugace.
Des fois, je me dis qu’il faudrait écrire tout ça.
Et des fois, non.
Je suis léger de talent, j’écris sur SensCritique.
Si c’est pas avoir raté sa vie, c’est bien imité.
La Bise.