Ombres portées
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C'est en visionnant l'adaptation ciné du livre de Pascal Quignard que la française Cécile Schott, alors âgée de 15 ans, tombe d’admiration pour la viole de gambe ; un instrument qui se trouvera par incidence au cœur de son projet Colleen, débuté il y a maintenant 14 ans. Pourtant, la viole n'était pas encore présente sur son premier album Everyone Alive Wants Answers (dont il faut au moins avoir écouté le morceau-titre avant de mourir), composé principalement à partir de samples. On la rapprochait ainsi davantage à Susumu Yokota pour cette raison, aussi publié chez Leaf, que de Marin Marais.
Par souci d'indépendance, elle délaissa ensuite le sampling et se met à interpréter elle-même ses propres compositions instrumentales. Viennent ainsi The Golden Morning Breaks (2005) puis Les Ondes Silencieuses (2007), où la viole de gambe fait son apparition. D’abord timide, elle déploya réellement tout son timbre sur le dernier album nommé, accompagnée notamment d’une épinette (de la famille des clavecins) et allant jusqu'à imprégner le disque de subtiles influences baroques.
Après une pause de 6 ans, Colleen rompu le silence en 2013 avec The Weighing of the Heart, hébergé cette fois sur le label Second Language. Ironie (ou non), c’est surtout l’album qui marqua l’apparition de sa voix sur ses compositions, insufflant à son projet une nouvelle direction. Sa viole est désormais accordée comme une guitare, privilégiant majoritairement le finger-picking au détriment de l’archet et accentuant — avec les percussions occasionnelles — le rythme de ses compositions et leur singularité.
Son cinquième album, intitulé Captain of None, est sorti au début du mois sur l'imposant label américain Thrill Jockey, lui accordant l'exposition qu'elle mérite. Dans la continuation du virage entamé depuis The Weighing of the Heart, Schott se concentre ici sur un plus petit nombre d'instruments, ainsi que sur sa voix. Les cordes pincées de la viole sont donc prépondérantes, délaissant définitivement l'archet, et surtout, injectant une énergie et une vélocité qui n'étaient pas aussi marquées sur ses précédents opus (comme sur la cavalcade introductive de Holding Horses).
Mais ce qui est le plus notable sur ce disque, ce sont les influences de la musique jamaïcaine, le dub particulièrement. Bercée dans son enfance par Lee Perry et son groupe The Upsetters et s'étant replongée dans la musique jamaïcaine plus récemment, elle distille subtilement sur Captain of None certains effets propres au dub. À la chaleur de sa voix (présente sur 5 des 8 titres), s'ajoutent ainsi celle des lignes de basse omniprésentes, des percussions davantage mises en avant et des effets d'échos sur ses instruments et ses mots.
Colleen excelle aussi dans l’art d’emmener ses morceaux dans des directions inattendues. Des titres parfois en plusieurs temps, reprenant une seconde leur souffle avant de repartir de plus belle (I’m Kin) ou d'où surgit un rythme tribal (Captain of None). Des perturbations électroniques jonchent quelquefois leur course, pour finalement venir progressivement s'intégrer dans une acoustique mutante et refusant les barrières. Prises de vitesse, les boucles des cordes ou des percussions s’entremêlent alors, trébuchent et s’affolent de façon surprenante (l'inarrêtable This Hammer Breaks).
Quant à ses textes, ils explorent les mystères de l’âme et du cœur, tissent des liens avec des animaux lointains ou mythologiques, ou évoquent même le gardien des eaux de San Sebastián. Mais au-delà de ces thèmes, le timbre de Schott instaure une harmonie et un sentiment d’équilibre et de paix indéniable, celui d’une artiste en phase avec elle-même.
Colleen apporte un souffle de bienveillance avec son Captain of None. C'est une bouffée de vie qui sera ton compagnon estival idéal, qui calme également les angoisses, réduit activement le stress et rapproche les peuples. Bref, en somme, un album qui incarne le bien. Tiens-le pour acquis. Bien plus qu’une urgente recommandation, c’est aussi toute la discographie passionnante de Colleen que ce Captain of None t'invite à (re)découvrir.
http://www.swqw.fr/chroniques/experimental-modern-classical/colleen-captain-of-none.html
Créée
le 10 sept. 2015
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