Ombres portées
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Le label berlinois PAN continue sans relâche de creuser son sillon dans des territoires toujours plus expérimentaux. Un sillon que son boss, Bill Kouligas, trace dans la cire, avec toujours, une démarche sans concession, autant au niveau du fond que de la forme. Ne cherchez plus de parution CD avec ce label, la musique de PAN se ressent, se vit via le support vinyle. On se souvient de l'uppercut dévastateur qui nous avait frappé en début d'année. Nos chairs, surtout. Elles portent encore les plaies des archets meurtriers du trio Mohammad, qu'ils avaient lacérées sans prévenir de leur Som Sakrifis monumental. Les plus courageux ont également pu se frotter à leurs dépens au groupe d'improvisation japonais Marginal Consort, dont le live démesuré de 3h, INSTAL. Glasgow 2008, est sorti en septembre dernier en quadruple LP. Lâché sur les aficionados du label peu de temps avant, tel un essaim de frelons se ruant sur sa proie, ce premier album de Rashad Becker, Traditional Music of Notional Species Vol. I, fait — encore une fois — mouche.
S’il s’agit bien de sa première sortie à proprement parler, le syrien est tout sauf un débutant puisqu'il travaille dans le célèbre studio berlinois Dubplates & Mastering (aux côtés de Moritz von Oswald et Robert Henke notamment). Avec près de 1200 albums pour lesquels il est crédité (sur discogs) pour son mastering, autant dire que vous avez sûrement déjà entendu son travail hautement qualitatif d'ingénieur du son. En ce sens, Traditional Music of Notional Species Vol. I est un pur travail de sound design, mais réussit à ne pas sombrer dans la démonstration excessive et prétentieuse de ses compétences en la matière. Décliné sobrement en une série de Dances et Themes, l’album est un recueil de musique traditionnelle d’une espèce imaginaire qu’il aurait fantasmée dans un délire sous LSD. Oubliez donc la balade tranquille d’un Microcosmos soporifique, ou alors rajoutez-y quelques psychotropes hallucinogènes qui rendraient l'expérience autrement plus flippante.
D’ailleurs, mieux vaut ne pas s’aventurer dans cet univers musical sous un quelconque produit, tant l’album est en lui-même un véritable trip sonore, aussi psychédélique qu’anxiogène. C’est un monde de distorsions gonflées à l’acide qui nous engloutissent, subjuguent nos sens et nous plongent dans une dimension quasi-alien. Et, bien qu'entièrement synthétiques, ces distorsions sonnent étrangement animales, comme si la visite s’effectuait dans une ruche mutante, dont les dards des occupants fuseraient incessamment en une valse mortelle autour de notre intrusion. Leur venin pénètre alors délicieusement nos veines, renforçant la confusion, l’addiction. Les sons paraissent distendus à l’extrême, soudainement plus proches, bondissant sur notre corps en transe, qui se plie sous le magma sonore de leurs attaques (le magistral Themes III), et où le plus inoffensif bourdonnement se mue en vrille terrassante.
Aussi imaginaire que l’encyclopédie sur le monde de Tlön, dans la fameuse nouvelle de Borges intitulée Tlön, Uqbar, Orbis Tertius, Rashad Becker nous livre, lui, une sorte d’encyclopédie sonore sur une espèce chimérique, dont il esquisse les contours fictifs avec sa palette auditive de l’irréel et du cauchemar. PAN frappe de nouveau très fort avec ce Traditional Music of Notional Species Vol. I qui chamboule les codes, les harmonies, fait l'effet d'une décharge de mescaline dans nos synapses désorientées, d'un coup de fouet dans notre organisme, transi avant l'overdose.
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Créée
le 9 sept. 2015
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