Nous sommes en 2018, et Skylar Spence fête déjà le dixième anniversaire de sa première composition.
Malgré son jeune âge, Ryan deRobertis est déjà titulaire de nombre d'albums parus sous de multiples identités
Sa dernière incarnation (certainement sa plus personnelle) tire son nom d'un personnage de Everyone Says I Love You. Nous l'avions quitté la dernière fois (si l'on oublie l'interlude Amelia Airhorn) en 2015, sur sa tentative d'évasion de la clique "future funk" : c'était Prom King, splendide album-synthèse de son héritage passé et de ses aspirations futures. Ryan deRobertis semblait définitivement être parti pour briller de son propre éclat, loin de la réappropriation permanente du passé qui caractérisait son œuvre d'auparavant.
Ces trois années furent pourtant moins productives que par le passé. La faute au succès de Skylar Spence, qui l'emmena à se produire aux quatre coins du monde, mais la faute également à un facteur que l'on n'aurait su prévoir : sa dépression.
Le dernier single se présente, selon les propres mots de son auteur, comme le témoignage de sortie de Ryan de ce qu'il nomme une dépression. Nouveaux horizons, promesses de changements, cette œuvre est une occasion de souligner l'avancée bien paradoxale de Skylar Spence après ses combats personnels.
Si dès les premières secondes de "Carousel" la patte funky de son auteur apparaît immédiatement, c'est comme une déplaisante surprise de voir que quelque chose a changé.
La fête est finie. Nous ne sommes plus dans une nostalgie à la "Prom King" des années lycée. C'est désormais la vie d'adulte et ses contrariétés qui arrive à grand pas, colorant l'œuvre de Skylar Spence. La masse de travail qui suivit son succès ne l'amena pas, ou peu, à se renouveler, à mettre en œuvre ce qui le faisait vivre : la création.
Encore plus cristallin qu'à son habitude dans les claviers, le rythme de son côté ralentit légèrement. La basse martelante apparaît comme le dernier élément restant de la mue de Skylar Spence. Le cœur n'y est plus, Skylar semble se languir d'autre chose que les fêtes sans fin qui rythmaient ses précédents albums. Les expérimentations se multiplient, comme une fuite en avant : variations dans les voix, choeurs discrets, textures sonores plus aériennes.
Mais au-delà de ces considérations purement musicales, ce dernier single brille surtout par un changement fondamental dans la position de son auteur.
"I'm relevant again" exprime-t-il, lorsque "Carousel" apparaît sur la playlist Spotify d'indie pop. Si nous nous intéressons un instant sur la définition de "relevant" dans le dictionnaire, nous tombons sur cela : "closely connected or appropriate to what is being done or considered".
Nous y étions donc presque.
Moi me réjouissait, dans ma critique de "Prom King", de la capacité de son auteur à s'extirper des carcans trop étroits de la Future Funk, et qui pariait sur l'avenir radieux de celui qui avait enfin réussi à déployer ses ailes. Mais voilà que finalement Ryan deRobertis décide de rester à terre, en prenant toujours en compte à nouveau l'avis des autres pour construire sa propre musique. C'en est presque décevant.
Mais bon, comment lui en vouloir ? "Carousel" est magique dans son atmosphère d'été indien. La nostalgie est présente à chaque fin de mesure, l'amour du passé n'a pas disparu. Mais on y prend goût et on en redemande même.
Et puis apparaît alors "Crying Wolf", hymne au changement, à celui que l'on désire éperdument dès que nous nous retrouvons coincés dans nos turpitudes quotidiennes. Certains dépeignent la dépression comme la mort du désir, et l'on est en droit de se demander ce qui a bien valu à Skylar Spence de tomber dans cette spirale, celle où il pouvait rester des jours dans son lit, une semaine en devenant deux. Dans ce genre de cas, l'on sermonne généralement la personne "déprimée" de se remotiver. Celle-ci peut reprendre provisoirement du poil de la bête, avant de se voir rattraper par ses vérités intimes, qui la font retomber inlassablement dans les mêmes situations.
La répétition n'a jamais été autant d'actualité dans la musique de Skylar Spence que lorsque celle-ci réapparaît dans sa vie. A force de répéter que les choses vont changer, on finit par être stigmatisé comme étant celui criant au loup.
Seul moyen d'interrompre le cycle vicieux : s'adresser à quelqu'un d'autre. Demander de l'aide. Quelle autre façon que de revenir dans le monde que de sortir un nouveau single, imposer à nouveau sa personnalité au milieu des autres ?
C'est un acte brillant qu'accomplit Ryan deRobertis pour sa dernière œuvre. Ce n'est pas un témoignage d'espoir ou un encouragement à la lutte contre la dépression, contrairement à ce qu'il peut affirmer, car ses démons ne peuvent être partagés avec personne d'autre.
Bien au contraire. C'est un témoignage de lui-même, de son caractère unique, de son talent de compositeur, qui ne jaillit jamais aussi bien que lorsqu'on ne peut lui trouver aucun comparatif sur la scène actuelle.
Carousel : https://youtu.be/r2sQBdpap0U
Cry Wolf : https://youtu.be/lsW2MNYAt1M