Après un premier effort (Tell Him, 1963) que l’on pourrait qualifier de rhythm’n’blues garage tant les titres témoignent d’une hargne peu commune en ces sixties naissants (hargne qui aurait suffi à faire opter une jeune et indécise Dusty Springfield pour une carrière dans la pop-soul d’après la légende) ; et un deuxième album (The Exciters, 1965) toujours en force, mais plombé par quelques mauvais choix ; The Exciters proposent avec Caviar And Chitlins, en 1968, ce qui sera sans doute l’apogée de leur discographie. Ces morceaux, pourtant les plus aboutis, ne susciteront aucune adhésion durable, puisque hormis le tout premier single Tell Him (1963) qui se place bien dans les charts, et malgré le concours de plusieurs teams de très sérieux clients made in Brill Building (Leiber-Stoller d’abord, Ellie Greenwich et Jeff Barry, Bert Berns par la suite), le groupe aura du mal à faire sa place dans la pléthorique production soul de l’époque. Il mérite pourtant qu’on lui accorde quelque attention.


Ce qui saute aux oreilles, c’est avant tout la voix de Brenda Reid, lead d’une puissance inouïe, apte à faire saturer n’importe quelle console (et de fait, sur de nombreux titres… à croire que c’est un choix de production), et vriller le cerveau de l’auditeur le plus averti. Celle-ci fait montre dès le premier album d’une rage surprenante, que l’on pourrait rapprocher des productions soul-funk du début des années 70, voire du rap qui suivra. Malheureusement cet atout est peut-être aussi ce qui l’empêchera d’atteindre de plus glorieux sommets, l’enfermant dans des titres exclusivement effrénés et explosifs. La malédiction des voix puissantes est qu’elles sont souvent surexploitées par les producteurs. A l’instar des Flirtations qui sortent la même année leur Nothing But A Heartache (1968), The Exciters apparaissent en conséquence à peu près aussi doués pour forger de puissants hymnes northern soul qu’incapable de la moindre douceur. Chaque titre donne la sensation de s’insinuer de force dans le cerveau de l’auditeur… au détriment parfois des compositions, livrées brutes et sans sommation.


Le nom que porte le groupe, les titres des morceaux eux-mêmes, ont valeur programmatique - Blowin’ Up My Mind ; Give It All ; Movin’ Too Slow ; Turn Me On. L’ambition est claire et tient en trois vocables : célérité, intensité, sensualité. Rien que de très recommandable, donc. Pourtant, cantonnés à cette démonstration de puissance, les musiciens ont du mal à s’inscrire dans un autre registre. Les ballades qui s’avéreraient nécessaires à l’équilibre interne des disques ne viennent jamais vraiment : à l’auditeur de tenir la cadence… ou d’accepter d’être lâché en chemin, mais pas question de souffler ! En cela, Caviar And Chitlins est sans doute le plus équilibré des six LPs du groupe, faisant preuve à tout le moins d’un peu de nuance, de quelques variations de tempos fort bienvenues. Des instrumentations variées, étoffées, bien produites, viennent porter les voix des trois chanteuses. L’équipe dispose par ailleurs d’une autre recrue de choix : Herb Rooney (marié à Brenda Reid), qui officie comme voix basse. L’adjonction d’un homme au girl group permet un changement de lead inopiné et appréciable (notamment sur You Got Me, moins sur A Year Ago - pour ce qui nous concerne ici) ; bien que le bonhomme brille davantage par ses qualités de producteur/songwriter que par l’originalité de son organe.


Le mix fait la part belle à la basse, très présente, assez bavarde ; elle semble annoncer les lignes très mélodiques qu’on trouvera l’année suivante dans la deep soul de Doris Duke. On note aussi un goût prononcé pour les cuivres qui met en valeur des arrangements efficaces, et quelques jolies parties de tambourin à la sauce northern. Dès les premières notes d’orgue strident de Blowing Up My Mind, et le mot “Dynamite” hurlé en guise d’amorce, l’auditeur est saisi au collet, et ne sera plus lâché au cours d’une première face assez impressionnante de maîtrise. Au cœur de la tourmente, la semi-ballade Always suffira à accorder au voyageur un havre de paix bienvenu, avant que le groupe n’enfonce le clou avec You Don’t Know What You’re Missing et son lick de guitare entêtant.


Les mêmes notes aigres ouvrent la seconde face, et l’illusion d’une troupe assagie, provisoirement entretenue par une Brenda toute en retenue, fait long feu : puissance et rage font retour. Elles atteignent leur point d’orgue avec Movin’ Too Slow, sans conteste le tube de ce LP, qui emporte tout sur son passage - et semble tout autant une fin de non recevoir adressé à un amant tenant aussi peu la bouteille que ses promesses, qu’un défi lancé à la face du monde. Suit un petit ventre mou : If I Could See Into Tomorrow, qui rappelle la soul anglaise de P.P. Arnold, sans grâce ni délicatesse, mais avec force hurlements ; puis A Year Ago où la voix d’Herb Rooney montre quelques limites malgré les élégants chœurs de ses comparses. Turn Me On remet le groupe à flot pour une ultime ballade en force, dotée d’un joli pont et d’une surprenante partie de flûte à bec (?). Au total, largement de quoi contenter les amateurs de soul agressive et bien arrangée. Dynamite !

Paul_Rbm
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le 14 mai 2018

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Paul Wew

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