Curieux film que ce A Ghost Story. Au regard de la production cinématographique actuelle dont il cherche par tous les moyens à se distancier, d’abord. Qu’on pense au rythme singulier tout en longues scènes étirées à l’excès et en ruptures brusques, à la photo ultra léchée, ou au format 4:3 qui autorise un large hors-champ - il s’agit de faire un peu autre chose. Je lis trop peu d’interview pour appréhender plus précisément les intentions de David Lowery, mais la mise en scène semble avoir valeur de positionnement politique ostensible (hypothèse que le traitement du deuil, dans le premier segment du métrage, vient entériner). Si l’exercice confine parfois au maniérisme, passées les premières minutes d’appropriation on se baigne dans le cadre proposé avec pas mal de plaisir.


Par sa construction interne ensuite, toute en bifurcations et en trompe-l’oeil. Un premier axe autour de la relation amoureuse, très réussi, que l’on pourrait résumer à ce beau tableau de couple qui s’étire entre les draps à la frontière sensuel-sexuel. Après un réveil en sursaut, les baisers alanguis laissent un temps penser que la sexualité va s’immiscer, mais le sommeil et la tendresse auront le dessus. Ce premier acte, qui suggère juste ce qu’il faut de sentiments et d’ambivalence, est brutalement abrégé par l’accident qui fait basculer au premier plan le deuil et celle qui l’incarne. Rooney Mara, éthérée, à peine plus consistante que le spectre, tente de remplir le vide de l’absence sans grand succès… Puis disparaît à son tour, aspirée dans les méandres du récit - le deuil n’était là encore qu’un écran de fumée. Ce sont finalement le fantôme, et ce lieu qu’il ne peut que hanter, qui occupent la dernière partie du film, et habitent un ultime acte plus long et plus inégal.


D. Lowery compose avec l’idée de traces, et l’ensemble de ses acceptions : qu’elles soient celles que l’on laisse après le deuil ou la rupture dans le cœur des êtres aimés (l’atmosphère évoque parfois Eternal Sunshine Of The Spotless Mind, ou le plus récent Manchester By The Sea) ; celles, plus prosaïques, que l’on abandonne derrière soi dans un lieu habité et quitté ; celles que l’on espère inscrire, un peu naïvement, dans l’histoire de l’humanité… A mesure que l’on s’éloigne des amants fondateurs pour adopter un référentiel plus large, on pense inévitablement et de plus en plus au roman graphique Ici, de Richard McGuire, qui décline sur des centaines de pages l’évolution d’un même lieu à différentes époques, le cycle infini de destruction/reconstruction, et les différents occupants qui s’y succèdent. Le réalisateur se plaît ainsi à frayer d’un plan à l’autre, à entrecroiser différentes échelles de temps et de réalité - plaçant ironiquement le fantôme en position de faire lien. Si l’on peut reprocher à A Ghost Story de se contenter de frôler ses thématiques sans jamais les approfondir, l’impression générale qui s’en dégage est celle d’une grande douceur.


A partir de l’érection du drap sur la table d’hôpital, qui signe l’entrée dans le cœur du récit et sa dimension fantastique, le spectateur se voit proposer une perspective assez ludique ; où il s’agit tout autant de deviner ce qui meut le passeur drapé que de saisir les codes de cet au-delà de la vie. S’il s’abstrait de toute contrainte temporelle, et suit ses propres buts, le fantôme est en revanche soumis à une féroce unité de lieu. Il reste également arrimé au langage, inclus dans le Symbolique - c’est d’ailleurs une parole qui le délivrera pour de bon - et l’Imaginaire : la mise en scène jongle habilement avec les multiples représentations que l’archétype du spectre convoque. Confronté à de nouveaux arrivants par exemple, se caricaturant quelque peu, il rappelle sa dimension mortifère et menaçante : les objets volent, les portes grincent et la vaisselle se brise. Finalement, et c’est sans doute ce qui participe de la douceur mise en évidence, jamais le voile ne sera levé sur le Réel, qui reste masqué au spectateur : en témoigne notamment le non-traitement de l’accident qui se joue complètement hors-champ.


La belle délicatesse qui se dégage du métrage ne fait pas oublier quelques moments moins convaincants. Lorsque le fantôme se trouve soudain déporté sur le chantier du Happy End d’Haneke, il semble emprunter un peu de sa pesanteur. Lorsqu’il erre ensuite dans un conseil d’administration au milieu des clones encravatés, quelques longueurs se font sentir (et on regrette qu’il n’en profite même pas pour arracher quelques chemises). C’est à la faveur d’un détour dans un passé plus lointain que le récit retrouve un peu de souffle, et l’on se croirait un instant transporté dans une œuvre de Terrence Malick. Le métrage se clôt sur une boucle assez convaincante, qui laisse suffisamment d’espace à l’interprétation, et de grain à moudre au spectateur. Expérience onirique, poétique, mutique, A Ghost Story n’est pas le chef-d'œuvre qu’il aurait pu être, mais réussit néanmoins à inscrire, dans la production cinématographique de 2017, une petite trace.

Paul_Rbm
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le 15 janv. 2018

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Paul Wew

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