Et celui qui dans son labo magique, mettra au point la musique chimique ?

En tant qu'aspirant mathématicien et musicophile amateur, je ne peux m’empêcher d'être à l'affût des rencontres fortuites entre mélodies et sciences. Hélas, le plus souvent on n'a le droit qu'à des albums concepts reposant sur pas grand chose, ou si on a de la chance des mélodies construites à partir de suites mathématiques. Faut dire que les rockeurs sont pas des têtes en chimie, ils sont plutôt du genre à avoir fait L. Alors qu'est-ce que ça donne quand un physicien, un vrai de vrai, décide de se lancer dans la chanson ?


Fraîchement diplômé de Princeton en 1967, le jeune Joël Sternheimer s'en fait au passage virer pour des raisons budgétaires. Pas pratique pour faire de la physique fondamentale, d'être au carreau, sans labo et les poches vides. Pour passer le temps, il a l'idée originale de commencer une carrière dans la musique, prenant pour pseudonyme le prénom du petit génie de l'algèbre disparu trop tôt, Évariste Galois (pour ceux qui connaissent pas c'est un peu le Jimi Hendrix des maths). Son premier disque est enregistré et pressé en quatrième vitesse. Pour l'instant, on a une jolie histoire mignonne, mais vous devez sûrement vous dire qu'un scientifique qui se lance dans une carrière musicale improvisée nous apportera au mieux une expérience sympathique, mais pas grand chose de révolutionnaire... Vous êtes loin du compte.


Quand on découvre la même année E=mc², son premier EP, il y a de quoi rester coi : c'est au fils illégitime de Frank Zappa et Albert Einstein qu'on a finalement affaire (Frank Einstein, uhuh). En cette époque yé-yé, Évariste nous offre en seulement 4 pistes un bel exemple de rock expérimental barré et pas si stupide qu'il en a l'air. Les mélodies sont en effet franchement inspirés. Quant aux paroles, elles mêlent poésie absurde, jeux de mots douteux et, bien évidemment, références constantes à la physique, à la chimie et aux maths.


L'album s'ouvre sur le culte Connais-tu l'animal qui inventa le calcul intégral ? dont le titre annonce la couleur. Évariste y hurle en anglais et en français, d'une voix rauque d'outre tombe ou d'un fausset strident, des inanités sacrément cocasses. Ça se confirme sur Si j'ai les cheveux longs, c'est pour ne pas m'enrhumer Atchoum, toujours aussi chtarbé mais qui témoigne d'une belle culture scientifique comme artistique, ainsi que d'une plume habile. Sur ces deux pistes, Évariste se moque des yé-yés type Antoine, auquel il doit pourtant beaucoup, d'autant que l'effet de mode lui apportera un joli succès. Ça se calme avec Dans la lune, mignonne ballade susurrée délicatement, pour repartir en trombe sur Évariste aux fans, qui clôt l'album en beauté avec une avalanche de blagounettes d'un goût spécial.


Pour Antoine je suis pas certain, c'est ce que j'ai lu. J'ai jamais écouté, jetez-moi des pierres mais pour moi Antoine c'est d'abord le mec qui fait la pub Atoll.


Peu de temps après sort le second EP, Wo I Nee, qui reprend la même recette de façon encore plus extrême. Les clins d’œils d’initiés (on ne dit pas encore geek) sont légion, sur La chasse au boson intermédiaire (45 ans plus tard on l'a enfin trouvé) ou Ma Mie, sérénade sur le thème de... la chimie. Quant à Les pommes de lune, on dirait une version améliorée de Dans la lune : je la trouve très belle, poétique, et très réussie mélodiquement parlant. Mais c'est la chanson titre qui présente la nouvelle lubie de Sternheimer pour la chanson politique, option blague raciste sur les chinois.


Evariste allait raccorcher quand arrive mai 68. L'occasion de nous offrir un nouveau single, La Révolution, qu'on devine au titre très engagé. C'est toujours réussi malgré le changement de style. L'artiste y déclare sa flamme à Cohn-Bendit, et se paie en prime, la renommée aidant, une pochette de Wolinski.


Fort de son succès, Sternheimer se remet à ses recherches grâce aux bénéfices de son succès. De son oeuvre courte, rassemblée sur une compilation sortie en 2011 chez Nosmokerecords, on retiendra un OVNI aux paroles uniques en leur genre, et au style musical expérimental mais restant entraînant et rempli d'humour, ce qui en ferait presque un précurseur des Residents. Et Sternheimer, qu'est-il devenu ? Il a notamment travaillé à la cité des sciences, et est surtout connu pour ses recherches controversées sur les rapports entre les plantes et... la musique. Comme quoi, pourquoi choisir entre la physique et la musique quand on peut faire les deux à la fois ?

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le 7 janv. 2016

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heudé2

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