En 2014, il nous revenait de loin le père Crosby.
A 73 ans alors, il aura donc quasiment tout connu dans sa vie.
La perte de proches, une addiction à la cocaïne, un fils abandonné et placé en orphelinat qu'il ne retrouvera que bien plus tard dans les années 90... Citons aussi pour celui qui fut l'un des amants de Joni Mitchell et un musicien exemplaire avec Stephen Stills, Graham Nash et Neil Young (d'où Crosby, Stills and Nash -- CSN-- ainsi que la seconde mouture Crosby, Stills, Nash and Young, --CSNY), un diabète dangereux ainsi qu'une passion trop prononcée pour les armes à feu à un moment de sa vie qui l'emmènera directement passer quelques années en prison.
En 2014, David Crosby, "Croz" pour les intimes est donc un vieux sage qui se faisait plaisir et nous sortait un album venu de nul part au moment où on ne l'attendait plus.
Et quand je dis qu'on ne l'attendait plus, c'est bien parce que visiblement plus personne ne misait sur le vieux cheval, public comme producteurs et musiciens. Mais l'avantage d'avoir sa vie derrière soi c'est qu'en plus de l'expérience, on a plus rien à perdre. Alors David Crosby qui a toujours sa voix d'ange (sans doute moins puissante qu'hier, elle semble chuchoter, apportant une magie qui ne s'est jamais perdue en cours de route) prend sa guitare, et se met à composer avec ce fils retrouvé qui a maintenant une femme et une fille. Une expérience intimiste en famille qui prend encore plus de sens vu que c'est Django Crosby, un autre rejeton de l'honorable sage qui s'occupe des photos (la pochette et une dans le volet dépliant du cd). Et même composé avec les moyens du bord (guitare et pro-tools) on peut toutefois compter sur un coup de main de Mark Knopfler (anciennement guitariste et leader de Dire Straits) ainsi que Wynston Marsalis pour enrober le tout de notes plus que gracieuses.
Et la magie opère.
Si je vous dis qu'il s'agissait pour moi de l'un des plus beaux et meilleurs albums de 2014, me croyez-vous ?
Avec Croz, on est de retour dans les 70's, presque.
Certes, ce n'est plus le chef d'oeuvre de folk-rock de 1971, If I could only remember my name (dans mes albums préférés et indispensables...) mais c'est quand même d'un bon niveau.
Très bon niveau même puisque presque rien n'est à jeter. Tout au plus aurais-je un peu de mal avec la composition un peu "rock-fm", "dangerous night".
De quoi parle Croz ? Du temps qui passe et de ce qu'on a vu filer sans y faire attention dans What's broken. Du fait que les gens vous oublient mais que la vie continue avec Holding on to nothing où Marsalis glisse quelques notes merveilleuses en clair-obscur. Du fait que plus que jamais la radio (d'où le titre éponyme enlevé et énergique, Radio) permet aux gens de découvrir de belles choses.
Slice of time (probablement mon titre préféré de l'album) revient sur ce temps qui s'enfuit et où parfois les photos peuvent être les rares preuves de "ce qui a été". Set that baggage down nous ramène directement au temps de Crosby, Stills, Nash & Young, semi-rock basé tant sur les arpèges de guitares que le mélange harmonieux des voix propre aux 70's avec cette touche qui rappelle aussi le premier album de Crosby. Dire qu'en 71, le musicien contemplait les dernières illusions hippies brûler sur fond de coucher de soleil en se demandant quel était son nom, état des lieux plus que paumé. Son nom, dorénavant il l'a retrouvé, il peut le prononcer ici. If she called raconte l'histoire de cette prostituée que Crosby, alors en voyage en Belgique en hiver, aperçoit en face de l'autre côté du café où il est, dans la rue. Les paroles décrivent très bien cette attente qui tourne au vide, le fait que personne ne passe, la brûlure du froid qui s'impose, un bus qui passe et éclabousse un homme là-bas et la jeune fille qui un instant sourit. Pas besoin d'en faire des masses, Crosby chante juste accompagné de sa guitare et d'un autre guitariste et comme l'ensemble du disque, c'est beau, mélancolique mais jamais déprimant car résolument tourné vers une énergie intérieure et le besoin d'aller de l'avant.
Un disque que je réécoute régulièrement comme on cultiverait son petit jardin secret...